L’émissaire des Etats-Unis pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, en février 2019 à Washington. / JIM WATSON / AFP

Au sein de la diplomatie américaine, c’est la douche froide. Le processus de paix afghan, sur lequel elle avait la haute main, vient de connaître un sérieux coup d’arrêt. Zalmay Khalilzad, le négociateur nommé en septembre 2018 par Donald Trump pour négocier directement avec les talibans, pensait probablement avoir fait le plus dur en leur faisant accepter le principe d’une rencontre à Doha, au Qatar, du 19 au 21 avril, avec des représentants de la scène politique afghane et du gouvernement de Kaboul. Mais, au dernier moment, l’événement a été annulé. L’ambassadeur Khalilzad a dû se contenter, pour relancer les discussions entre pouvoir afghan et taliban, d’une réunion organisée par Moscou, jeudi 25 avril, en présence également de responsables chinois.

C’est la feuille de route américaine pour l’Afghanistan qui se trouve remise en cause. Les rencontres de Doha entre les Etats-Unis et les talibans avaient permis des avancées, notamment sur l’engagement des insurgés à refuser sur leur sol tout groupe djihadiste, et côté américain, la volonté réaffirmée de quitter le pays. Elles avaient fait naître, à Washington, l’espoir de voir annoncé avant l’été un cessez-le-feu, qui aurait véritablement lancé la réconciliation nationale. Un vœu aujourd’hui compromis.

Officiellement, la rencontre a achoppé sur la composition de la délégation : 250 délégués, un chiffre jugé excessif par les insurgés. Dans un communiqué, le 17 avril, leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, s’était exclamé : « Cette conférence n’est pas une invitation à un mariage ou à une fête dans un hôtel de Kaboul ». Les talibans déploraient que certains officiels prévoient de s’y rendre uniquement à « titre personnel ». Dans l’entourage du président afghan, Ashraf Ghani, on indique que la responsabilité de l’annulation de la rencontre incombe aux autorités de Doha qui ont voulu réduire la liste, ce qui aurait porté atteinte à la représentativité de la délégation.

« Vice-roi d’Afghanistan »

Pour expliquer cet échec, les hôtes qataris et les Américains, les grands perdants de ce rendez-vous raté, hésitent entre la maladresse et l’acte délibéré. Mais selon les observateurs internationaux, à Kaboul, ce sont les talibans qui paraissent plus que jamais maîtres du temps. Moins pressés que les Américains, ils maintiennent la pression militaire sur un régime afghan en difficulté sur le terrain. Le 19 avril, alors qu’ils s’apprêtaient à discuter, les talibans revendiquaient encore des attaques dans l’est du pays et au cœur de la capitale. Le 12 avril, ils avaient annoncé le lancement de leur offensive annuelle de printemps qui marque le début de la « saison des combats », même si ceux-ci se poursuivent aussi l’hiver.

Cet échec diplomatique américain a aussi pour conséquence de remettre en selle le chef de l’Etat afghan, marginalisé depuis le début des négociations exclusives entre les Etats-Unis et les talibans. Les progrès des pourparlers de paix de Doha ne cessaient de l’affaiblir et l’excluaient d’un avenir qui se décidait sans lui. L’amertume envers Washington a été formulée si vivement par Hamdullah Mohib, son conseiller à la sécurité nationale, mi-mars, aux Etats-Unis, qu’il avait été invité à quitter le pays dès le lendemain, selon nos informations. « La transparence n’est pas suffisante (…), nous sommes les derniers à être tenus au courant », avait-il déploré ouvertement avant d’accuser M. Khalilzad, né afghan, de vouloir devenir « le vice-roi d’Afghanistan ». Les diplomates américains refusent, désormais, de participer aux réunions en sa présence.

Après une attaque des talibans contre la base aérienne de Bagram, le 9 avril. / Rahmat Gul / AP

La rencontre avortée de Doha coïncide, enfin, avec l’avis rendu le 20 avril par la Cour suprême afghane, prolongeant le mandat du président Ghani, prévu pour s’achever le 22 mai, jusqu’à la tenue de l’élection présidentielle, le 28 septembre. Le scrutin présidentiel a été repoussé à deux reprises en raison de difficultés d’organisation. Le président pourrait tirer profit de cette décision pour reprendre la main politiquement à la faveur de la convocation, entre le 29 avril et le 4 mai, d’une grande « jirga » – un rassemblement de sages des tribus afghanes – destinée à préparer une négociation directe avec les talibans. De quoi encore compliquer la stratégie américaine.