Le cyclone Kenneth approche des côtes du Mozambique, le 25 avril 2019. / NASA / REUTERS

Dévasté il y a un peu plus d’un mois par le cyclone Idai, le pays d’Afrique australe a de nouveau été touché par un cyclone tropical, encore plus intense, dans l’après-midi du jeudi 27 avril. Avec des vents proches de 200 km/h et des rafales de l’ordre de 280 km/h au moment de l’impact, ce nouveau phénomène climatique extrême a touché cette fois le nord du pays, après s’être formé à la pointe de Madagascar et avoir causé la mort d’au moins trois personnes en passant au-dessus de l’archipel des Comores mercredi.

D’après Météo France, Kenneth a rencontré « des conditions favorables à son développement, en particulier des températures de la mer plus chaudes que la normale » et s’est intensifié « avec des caractéristiques extrêmement rares pour la partie nord du canal de Mozambique ». Dans cette zone, la dernière tempête tropicale remonte à 1987 alors que les cyclones visent d’habitude la moitié sud du pays. Autrement plus inhabituel, Kenneth survient en toute fin de saison des pluies, cinq semaines seulement après le passage d’Idai, qui a provoqué à lui seul l’une des plus grandes catastrophes naturelles de l’hémisphère Sud en causant plus de 1 000 victimes au Mozambique, au Zimbabwe et au Malawi.

Mercredi, le gouvernement mozambicain, qui doit déjà faire face au plus grand désastre de l’histoire du pays, a déclenché l’alerte rouge. « Nous avons commencé à repositionner les moyens alloués pour Idai à la province de Cabo Delgado, notamment pour le sauvetage de potentielles victimes. Un hélicoptère est déjà sur place, et nous allons augmenter les moyens au fur et à mesure qu’on obtient une idée plus précise des dommages », a déclaré Augusta Maita, la directrice de l’Institut mozambicain de gestion des catastrophes naturelles (INGC), qui estime que 690 000 personnes pourraient être affectées.

Centres d’accueil saturés aux Quirimbas

Bien que plus violent, Kenneth devrait être moins destructeur qu’Idai, puisque la zone touchée est nettement moins densément peuplée que le centre du pays. D’après les chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM), 250 000 personnes étaient exposées à des vents supérieurs à 120 km/h, soit cinq fois moins que pour Idai. 90 000 personnes vivent dans le district de Macomia où l’œil du cyclone a touché terre, essentiellement dans des villages éparpillés dans la forêt.

D’après les premières informations communiquées par l’INGC, la petite ville de Macomia a souffert de grands dommages. « La banque, les pompes à essence et un grand nombre de maisons sont détruites, mais pour l’instant il n’y a pas de victimes, la grande majorité des personnes s’étant bien abritées », informe Antonio Beleza, du centre des opérations d’urgence. Sur l’île d’Ibo de l’archipel paradisiaque des Quirimbas, très prisé des touristes, « près de 90 % des maisons en habitat précaire sont détruites, 15 000 personnes sont sans abri et les centres d’accueil sont saturés : il faut des tentes, de la nourriture et de l’eau », ajoute t-il.

Risque d’inondations meurtrières

En revanche, Pemba, la capitale de la province située cent kilomètres plus au sud de la zone d’impact a été relativement épargnée, même si la mort d’une femme, tuée par la chute d’un cocotier, est à déplorer. « On a perdu l’électricité une heure et j’ai eu très peur de la mer, vu qu’ils annonçaient des vagues de six mètres, mais, Dieu merci, on n’a eu aucun dégât », explique Anabela Moreira, jointe par téléphone. Cette Portugaise qui vit depuis quinze ans à Pemba y tient une maison d’hôtes qui fait face à l’océan. « On a eu de la chance, le cyclone est arrivé à marée basse », précise t-elle.

Fermé depuis mercredi soir, l’aéroport devrait bientôt rouvrir, de quoi faciliter l’arrivée des renforts humanitaires. « A notre niveau, on a 564 tonnes de nourriture qu’on a prépositionnées en avance, et on a déployé l’équipe logistique et télécoms à Pemba dès mercredi », explique Deborah Nguyen, porte-parole du PAM. L’incertitude désormais, c’est le risque d’inondations, alors que près d’un mètre de précipitations est attendu pour les prochains jours, ce qui, dans le cas d’Idai, s’est révélé être nettement plus meurtrier que le cyclone en lui-même.

Défi sécuritaire

Mais le principal défi pour l’acheminement de l’aide sera avant tout sécuritaire. Depuis octobre 2017, un groupe d’insurgés islamistes surnommé localement « Al-Chabab » mais sans lien avec la mouvance terroriste somalienne, a plongé toute la province dans une profonde instabilité. Un groupe dont on sait très peu de choses, sans véritable leader identifié et sans revendications claires, dont les méthodes rappellent Boko Haram.

Retranchés dans la forêt qui jouxte la frontière tanzanienne, ils mènent régulièrement des raids contre des villages où ils décapitent les hommes et kidnappent les femmes. La situation est d’autant plus sensible que tout au nord du Cabo Delgado, le village de Palma accueille les futures installations des majors ENI, Exxon et Anadarko qui, à l’horizon 2021, vont commencer l’exploitation des immenses réserves de gaz découvertes au large des côtes et censées faire du Mozambique l’un des plus grands exportateurs de gaz liquéfié au monde.

Alors que le bilan des attaques approche des 200 morts en moins de deux ans, l’armée a totalement bouclé la province ces derniers mois et empêche tout particulièrement les journalistes d’y entrer. « On est toujours en train d’évaluer la situation pour voir comment les convois humanitaires vont pourvoir se déplacer dans la province », confie Deborah Nguyen. Fin mars, au moins quatre attaques ont eu lieu près de Macomia, la zone la plus touchée par le cyclone.