A Nantes, le 28 avril. / SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

C’est lors d’une réunion au club de foot du JSC Bellevue que l’idée est née, le soir du mercredi 24 avril : organiser une marche inédite, la plus grande possible. Elle rassemblerait « tous les quartiers sensibles de Nantes ». Bellevue donc, mais aussi les Dervallières, Malakoff, Nantes-Nord, la Bottière, le Breil, le Clos-Toreau… Les uns et les autres pourraient venir en noir et marcher en silence depuis leurs cités respectives pour se rassembler en centre-ville, derrière une large banderole sur laquelle on lirait : « Ne laissons pas la violence tuer l’espoir de nos quartiers. »

Cette réunion s’est déroulée au lendemain de la mort de Mancef M., ce jeune homme de 23 ans tué par balles dans un bar à chicha du centre-ville de Nantes. Plusieurs hommes casqués avaient surgi dans l’établissement, armes au poing. Les coups de feu, tirés en rafale, avaient fini par tuer. Dans certaines cités de Nantes, depuis plusieurs jours, la violence était montée d’un cran. Les enquêteurs ne comptaient plus les étuis et les douilles retrouvées au pied des tours et la liste des blessés par balles n’en finissait pas de s’allonger : six l’avaient été depuis le vendredi précédant le drame. Le plus souvent, c’est sur la place centrale du quartier Bellevue que les armes étaient sorties. Cette fois, les calibres n’avaient pas visé les jambes, pour intimider, à l’abri des regards. Ils avaient pointé les thorax pour tuer, dans des lieux publics. Et leurs balles avaient blessé grièvement plusieurs hommes et ôté la vie à un innocent.

« Il fallait qu’on parle »

« Cette fois, il fallait qu’on parle, que l’on prenne notre part en tant que citoyen. Il était temps », estime Kalomé Botowamungu, un père venu du quartier des Dervallières. « Face à cette violence, il faut que chacun se sente concerné. Ensemble, on peut faire quelque chose pour lutter contre cette violence qui tue insidieusement l’espoir dans les cités. Là, on est en train de le dire. Et prendre la parole, c’est déjà mettre un peu fin à cela. »

A Nantes, le 28 avril. / SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Sous un ciel un peu gris, ils sont près de 500, ce dimanche, à chercher des solutions. Ils ne le savent que trop bien : elles ne sont « pas simples » à trouver. « A mon époque, ce n’était déjà pas tout rose dans les quartiers », se souvient Fabrice, 44 ans :

« Mais j’ai l’impression que la fracture est plus grande avec les jeunes. Avant, par exemple, seuls les vrais bandits avaient des armes. Et ils n’appuyaient pas sur la détente sans réfléchir. C’étaient leurs histoires. Aujourd’hui, pour 100 euros, des gamins peuvent avoir des calibres et beaucoup sont équipés. Et ça fait de très gros dégâts. Et puis, on voit aujourd’hui des drogues qui ne circulaient pas dans les cités avant… Quand ils sont chargés, certains deviennent incontrôlables. »

Le tableau est sombre, mais pas noir : « Je pense que si chacun cherche des petites solutions, même toutes petites, on peut avancer. » David Martineau, élu (PS) du quartier Malakoff, ne dit pas autre chose : « Il y a du travail, mais la digue est là. Et elle tient. Chacun d’entre nous doit pouvoir aller voir un jeune et lui dire qu’exhiber un pistolet, même factice, devant des gens, ce n’est pas bien. Parler… je pense que parfois, cela peut suffire. »

Dimanche, des jeunes gens sont venus de Bellevue ou encore de Malakoff. Sarah, Sofiane et Fatima, 23, 22 et 24 ans, sont venus dire qu’il « faut réagir et ne pas lâcher prise ». « Les morts, les fusillades, ça suffit », lancent-ils. « Les quartiers, ce ne sont pas que des clans ou des gangs. On va le leur prouver. On peut être solidaire aussi. Ceux qui font ça font mal à tout le monde. Et ils semblent ne même pas s’en rendre compte. Un père et une mère ont perdu leur fils. Et eux ? Ils vont peut-être passer vingt ans en prison… Ils pensent à leurs proches ? », interroge Sofiane.

« Les blessés, ce sont des grands qu’on connaît »

Il est bientôt 17 heures. Elyes, 14 ans, Yasser, 15 ans et Ayman, 17 ans, sont là, eux aussi. Les trois copains « de Bellevue » écoutent les responsables associatifs leur dire qu’ils « croient en eux » et en leur « capacité à devenir de bonnes personnes », depuis l’estrade installée à deux pas du Château des Ducs de Bretagne, où tous les marcheurs – parmi lesquels le maire (PS) de Nantes, Johanna Rolland – sont désormais rassemblés. « Dans nos quartiers, il faut le répéter : on a des gamins en or, qui ont un potentiel de malade », dit l’un d’eux, devant une assistance qui applaudit à tout rompre. « Nous, ça nous touche ce qui se passe. On est venus parce que ceux qui sont blessés, ce sont des grands qu’on connaît », expliquent les trois adolescents. « On espère que cette marche va sensibiliser les gens », dit encore Ayman.

Nantes, le 28 avril. / SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Le micro a fini de tourner. Bouchra Akdim, la présidente du club de foot de Bellevue, qui a relevé les manches, avec d’autres, pour faire de cette marche un succès est fatiguée, mais heureuse. « Vous venez d’envoyer un message fort », dit-elle, émue, à celles et ceux qui se sont déplacés ce dimanche. « On est tous concerné. On peut tous lutter contre ça. Nous on y croyait. Vous, vous venez de prouver que l’on pouvait continuer… »

Au premier rang, la mère de Mancef M. veut croire, elle aussi, que les choses vont « changer » et « qu’aucune autre mère ne pleurera son fils » à Nantes.

Deux hommes en garde à vue

Dimanche 28 avril, deux suspects, qui avaient été interpellés samedi matin à Nantes, se trouvaient toujours en garde à vue pour « tentative d’homicide en bande organisée », dans les locaux de l’antenne de police judiciaire de Nantes, indique le procureur de la Juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Rennes, qui supervise les investigations.

Ils sont soupçonnés d’être impliqués dans une fusillade, survenue quartier Bellevue, à Saint-Herblain, au nord de Nantes, lors du week-end pascal. Quatre hommes avaient été blessés par balles. Leurs gardes à vue peuvent durer jusqu’à 96 heures.