En mai 2014, des élèves d’une école primaire de Villeneuve-de-Blaye (Gironde) s’étaient plaints de curieux symptômes : maux de tête et de gorge, picotement aux yeux, nausées... L’enseignante avait été hospitalisée et les enfants, confinés dans l’école. Or ce jour-là, deux domaines avaient traité leurs parcelles de vigne avec des fongicides. Y avait-il un lien ? Non, a répondu mardi 30 avril le tribunal correctionnel de Libourne, qui a relaxé les deux propriétés viticoles du Bordelais en appellation Côtes-de-Bourg.

Les magistrats ont suivi les réquisitions du parquet qui, à l’audience du 20 mars, s’en était remis « à la sagesse du tribunal » mais avait estimé qu’« aucun lien de causalité entre les malaises et les épandages » n’a pu être établi.

« On ne peut pas faire de vin sans traiter la vigne »

La Sepanso (Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest) avait déposé une plainte contre X en 2014 pour « utilisation inappropriée de produits phytopharmaceutiques ». L’émoi provoqué par cette affaire avait conduit à l’ouverture d’une enquête administrative de la Draaf (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) qui avait conclu qu’il n’était pas possible « d’attester formellement de la matérialité de l’infraction ». Le parquet de Libourne avait donc classé l’affaire sans suite en avril 2015.

Mais les associations avaient alors saisi la cour d’appel de Bordeaux – obtenant finalement le renvoi devant un tribunal. Fait inédit selon France 3, la justice a même mis en examen en octobre 2016 les deux châteaux, poursuivis en tant que personnes morales. « Les moyens utilisés » lors du traitement des vignes « étaient manifestement insuffisants », avait alors estimé la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux pour motiver le renvoi en correctionnelle.

Les vignes proches de l’école appartenaient à deux propriétés différentes : l’une en agriculture conventionnelle, le Château Escalette, l’autre en agriculture biologique, le Château Castel La Rose. Dans le premier cas, le fongicide utilisé était l’Eperon et Pepper, tandis qu’il s’agissait dans le seconde de bouillie bordelaise, de l’Héliocuivre et de l’Héliosoufre S. Des produits autorisés, mais qui peuvent malgré tout avoir des effets sur la santé.

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Dans cette affaire, les parties civiles reprochaient aux deux exploitations d’avoir procédé à des épandages ce jour-là dans des conditions inappropriées, les enfants pouvant être atteints en raison notamment des conditions de vent. Pour Me François Ruffié, avocat de l’association de défense de l’environnement Sepanso, « ce qui définit l’infraction c’est l’utilisation de moyens appropriés pour éviter l’étalement du produit en dehors de la parcelle traitée ». C’est donc sur ce point qu’il compte encore porter le fer et faire appel, estimant que « cette décision est un très mauvais signal pour les excès de la viticulture », même s’il reconnaît « qu’on ne peut pas faire de vin sans traiter la vigne ».

De son côté, l’avocate du Château Escalette, Me Sophie Clavel, s’est félicitée de ce jugement : « Je suis ravie de cette belle décision (...) qui confirme qu’il n’y a pas d’élément probant qui permette d’établir la causalité entre les malaises qu’ont pu ressentir les enfants et les épandages qui ont été pratiqués. »

Législation de 2014

Après cette affaire de 2014, qui avait fait grand bruit, l’Assemblée avait voté en juillet des mesures restreignant l’usage de pesticides près des lieux sensibles comme les écoles. L’épandage des pesticides (excepté les produits à faible risque) près de lieux sensibles (écoles, centres hospitaliers, maisons de retraite, etc.) a été ainsi conditionné à la mise en place de mesures de protection « telles que des haies ou des horaires adaptés ».

Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, « l’autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux ». Le gouvernement avait aussi fait voter le principe d’une sanction en cas de méconnaissance de ces mesures.

Reste qu’en Gironde, 128 écoles sont classées en zone sensibles et se trouvent à côté d’exploitations agricoles ayant recours à des pesticides, selon France 3 Gironde. La réglementation légale indique que la préfecture doit imposer une distance minimale d’au moins 20 mètres pour la viticulture et 50 mètres pour l’arboriculture. En mars 2018, onze associations anti-pesticides s’étaient réunies pour réclamer au préfet la mise en place d’une zone de protection d’au moins 200 mètres autour des écoles, dans le but de protéger les enfants de l’exposition aux pesticides.