Un homme porte un portrait du président Cyril Ramaphosa près de Vereeniging, en Afrique du Sud, le 12 avril 2019. / STRINGER / AFP

Mercredi 8 mai, 26 millions de Sud-Africains sont appelés aux urnes pour désigner leurs députés nationaux et provinciaux. Régime parlementaire oblige, ces nouvelles assemblées éliront ensuite le président de la République et les premiers ministres des neuf provinces du pays. Alors que la campagne est dans sa dernière ligne droite, l’issue qui se dessine est bien différente du paysage politique laissé par Jacob Zuma lors de sa démission, en février 2018.

Malgré l’usure du pouvoir, la morosité économique, une ribambelle de scandales de corruption et les deux mandats de M. Zuma qualifiés par son successeur, Cyril Ramaphosa, de « neuf années gâchées », le Congrès national africain (ANC) est en bonne position pour conserver sa majorité au Parlement. Sauf grande surprise, M. Ramaphosa devrait garder son fauteuil de président.

L’ancien protégé de Nelson Mandela est donc en passe de réussir son pari : retenir les électeurs déçus de l’ANC et les convaincre qu’il est le plus à même de nettoyer son parti et le pays de la corruption. Sa stratégie passe par un « nostra culpa » qui a tout l’air de fonctionner à merveille. « Oui, l’Etat a été corrompu, et avant ça l’ANC a été corrompu », a t-il déclaré, lundi 29 avril, devant un parterre d’influenceurs réunis à Pretoria : « Mais l’ANC est l’un des seuls partis à reconnaître ses erreurs, et c’est ça qui va nous aider avec notre projet de renouvellement. »

Contre-performance

L’autre paradoxe de ces sixièmes élections démocratiques en Afrique du Sud est que le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA, libéral), risque fort de voir sa position s’effriter, alors que les frasques de M. Zuma, son épouvantail favori, lui ouvraient un boulevard. Un sondage publié lundi par l’Ipsos (sur un échantillon de 3 600 électeurs) place l’ANC à 61 % des suffrages et la DA à 19 %, si la participation s’élève à 71 % des électeurs inscrits. Une contre-performance par rapport aux 22,2 % recueillis en 2014 et, surtout, aux 26,8 % des municipales de 2016, lorsque le parti a raflé quatre métropoles sud-africaines. Un autre sondage, publié mardi par l’Institut des relations raciales (sur un échantillon de 2 400 électeurs), place l’ANC à 51 % et la DA à 24 % en cas de participation à 71,9 %.

Alors que son action à la tête des municipalités qu’elle dirige est saluée, la DA ne parvient pas à sortir de la critique systématique et à proposer une alternative crédible au niveau national. Pas même le très séduisant Mmusi Maimane, 38 ans, premier leader noir d’un mouvement qui se défait difficilement de son image de parti blanc. L’arrivée au pouvoir de M. Ramaphosa, ex-homme d’affaires chouchou des milieux financiers dans un contexte de morosité économique, a forcé la DA à revoir ses ambitions à la baisse. « Je suis sûr que Ramaphosa sera président le 8 mai, à nous d’obtenir une part significative du vote pour l’orienter dans la bonne direction », a même concédé Tony Leon, leader de la DA de 2000 à 2007, appelé à la rescousse pour battre campagne.

Quant au trublion Julius Malema, qui avait créé la surprise en se hissant directement à la troisième place (avec 6,35 % des voix) en 2014, un an seulement après avoir créé son mouvement des Combattants pour la liberté économique (EFF, gauche radicale), il pourrait doubler son score. Comme aux dernières municipales, le « commandant en chef » au béret rouge risque fort de se positionner en faiseur de roi dans de nombreuses provinces : en 2016, alors vent debout contre l’ANC de M. Zuma, il s’était allié à la DA pour conquérir Johannesburg, Pretoria et Port Elizabeth. Il lorgnerait désormais vers l’ANC, dont il a été expulsé en 2013 mais qui a depuis repris à son compte sa rhétorique sur la très complexe réforme agraire.

Combat de chaises

Alors que l’issue au niveau national semble se figer et que l’ANC devrait garder la main, la bataille s’est déportée sur l’échelon provincial. Preuve de la vitalité démocratique de l’Afrique du Sud, 40 partis sont dans la course et à couteaux tirés pour convaincre les électeurs déstabilisés par la conduite des affaires de l’ANC, voire pour démettre la DA dans la seule province qu’elle contrôle, le Cap-Occidental.

A bien des égards, la campagne a véritablement commencé le 5 avril par… un combat de chaises. Au cours d’un débat télévisé à Hout Bay (sud-ouest), des partisans de M. Malema et de Black First Land First (BLF), un parti né d’une scission des EFF, a fait voler le mobilier alors que leurs candidats se chamaillaient sur l’estrade.

Chaos erupts at SABC election debate in Hout Bay
Durée : 02:02

« Nous sommes dans une atmosphère politique très intense. Malheureusement, la qualité des débats est très pauvre, tout est axé sur la rhétorique, tout le monde prend des positions idéologiques, mais il n’y a pas réellement de réflexion », déplore l’analyste politique Ralph Mathegka.

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Lorsqu’ils n’en viennent pas aux mains, les partis n’hésitent pas à se traîner devant les tribunaux. Le Front de la liberté plus (VF+, conservateur et blanc, 1 % en 2014) a ainsi tenté, sans succès, de faire annuler la participation de BLF aux élections. « On voit beaucoup d’attaques ad hominem et d’invectives, on croirait une campagne à l’américaine », poursuit M. Mathegka. Une cacophonie qui risque de dissuader les électeurs et qui pourrait profiter à l’ANC. D’après l’Ipsos, plus la participation sera faible, meilleur sera le score du parti de M. Ramaphosa.