Le président de la Banque mondiale, David Malpass, et le président malgache, Andry Rajoelina, à Antananarivo, le 29 avril 2019. / MAMYRAEL / AFP

David Malpass, 63 ans, est le nouveau président de la Banque mondiale, depuis le 9 avril, pour un mandat de cinq ans. Pour son premier voyage, cet économiste américain proche de Donald Trump, qui l’avait nommé sous-secrétaire au Trésor pour les affaires internationales, a choisi Madagascar, un pays où l’extrême pauvreté touche environ 75 % de la population.

Lors de sa prise de fonction, il a précisé que l’Afrique serait pour lui une priorité et qu’il se consacrerait en premier lieu à la réduction de la pauvreté d’ici à 2030. M. Malpass l’avait déjà signifié en 2017. A cette époque, il avait critiqué des institutions internationales « pas très efficaces », « souvent corrompues dans leurs pratiques de prêts », et avait estimé que la Banque mondiale devrait se recentrer sur la lutte contre la très grande pauvreté.

A Madagascar, lundi 29 avril, M. Malpass a annoncé un financement de 392 millions de dollars (environ 350 millions d’euros) destiné à l’amélioration de l’accès à l’électricité (150 millions de dollars), au budget de l’Etat (100 millions), aux familles démunies (90 millions) et à la sécurisation des titres fonciers (52 millions). Cet entretien, partagé avec Radio France internationale (RFI), est sa première expression publique hors des Etats-Unis.

Quel est le but de cette tournée en Afrique et pourquoi avoir choisi Madagascar ?

David Malpass La mission de la Banque mondiale est de lutter contre la pauvreté et de créer des conditions pour une prospérité partagée, ce qui passe par une amélioration des conditions de vie des gens. Récemment, Madagascar a fait face à d’importants défis, c’est pour ça que je suis venu. Le pays a un fort taux de pauvreté, mais il y a un nouveau gouvernement, c’est l’occasion d’aller de l’avant.

Je suis optimiste : le gouvernement malgache saura franchir les étapes nécessaires à la réduction de la pauvreté pour offrir plus de possibilités de revenus aux gens. Cela peut être l’accès à l’électricité et à l’eau potable, un meilleur système agricole pour de meilleures récoltes, un meilleur environnement des affaires pour le secteur privé… Tout cela est possible

Quel est le principal défi à Madagascar ?

Le président arrivé en janvier [Andry Rajoelina] a annoncé un plan d’émergence qui comprend plusieurs changements allant dans le bon sens. L’un d’eux est d’installer un système judiciaire plus fiable pour enrayer la corruption. L’autre est de construire plus de routes pour que les agriculteurs puissent livrer leurs récoltes sur les marchés. Il y a d’autres projets dans ce plan d’émergence : le défi va être de les réaliser pour sortir Madagascar de la pauvreté.

Quelle est pour vous la priorité de Banque mondiale ?

La lutte contre la pauvreté, afin de progresser vers une prospérité partagée. Cela signifie qu’il va nous falloir travailler avec beaucoup de pays, là où on pourra obtenir des résultats. J’espère que la Banque mondiale saura rester concentrée sur cet objectif et que j’obtiendrai des résultats. Il faudra procéder pays par pays en s’appuyant ici sur un fort leadership, là sur les produits exportés… C’est à la Banque mondiale d’être prête à saisir ces opportunités pour aider les pays en question.

Comment créer plus d’emplois en Afrique, en particulier pour les jeunes ?

Chaque pays est différent. Pour certains, créer plus d’emplois signifie de commencer par offrir une meilleure éducation aux jeunes. Pour d’autres, il faudra opérer des changements dans le climat des affaires afin de donner envie à certaines entreprises de s’élargir et à d’autres de s’implanter.

Par exemple, Madagascar a une chance : il y a une bonne demande au niveau du tourisme. On a besoin de jeunes qui s’impliquent dans ce domaine : qu’ils soient formés, qu’ils aient les compétences pour aller vers cette branche. Il va falloir trouver des entreprises avec de bonnes formations professionnelles.

Sur le continent, la situation diffère vraiment d’un pays à l’autre. L’une des pistes pourrait être de créer des entreprises innovantes qui développeraient de nouveaux types de récoltes. L’innovation est la clé pour l’Afrique. Il y a d’énormes ressources et d’énormes opportunités : la question est de trouver comment ces pays peuvent en tirer parti pour transformer l’essai.

Votre tournée passe par le Mozambique, récemment frappé par deux cyclones. Comment la Banque mondiale aide-t-elle ce pays et, plus largement, ceux qui vont subir les conséquences du changement climatique ?

La Banque mondiale a une longue histoire avec le Mozambique. Ce pays nous donne des opportunités pour travailler sur la résilience climatique et l’adaptation à ces différents changements, qui sont de plus en plus récurrents. Nous souhaiterions voir les pays travailler ensemble, main dans la main, quand ces problèmes surgissent.

A Madagascar, par exemple, nous avons besoin d’une plus grande résistance des logements quand un cyclone frappe l’île et qu’il y a de gros dégâts matériels. Les techniques de construction peuvent être améliorées pour éviter de reconstruire à l’infini. La même problématique s’applique au Mozambique.

Vous avez déclaré vouloir réduire les prêts accordés à la Chine afin de prêter aux pays qui en auraient davantage besoin. Comment allez-vous travailler avec Pékin ?

Les rapports de la Banque mondiale avec la Chine sont en constante évolution, parce que c’est un pays qui lui-même évolue beaucoup. Aujourd’hui, la Chine s’en sort très bien économiquement, elle est en train de réduire ses emprunts auprès de la Banque mondiale et est désormais capable d’interagir différemment avec l’institution, par exemple à travers l’assistance technique qu’on peut lui fournir.

Ce pays est aussi en mesure de partager avec le reste du monde les leçons tirées de la lutte contre la pauvreté. Ç’a été un succès : 850 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, en partie parce que les politiques mises en place ont aidé les marchés. Les prix des denrées agricoles ont été libéralisés et ç’a été une étape importante dans le développement du pays.

Il y a aussi les investissements de la Chine en Afrique. Il faut que ce pays aille vers plus de transparence dans sa politique de prêt, en accord avec les lois et les pratiques qui ont cours dans chaque pays. C’est bien que la Chine aide les pays à se développer, mais ce développement doit être équitable pour les populations.

Après votre tournée africaine, vous irez en France rencontrer le président Emmanuel Macron. Quel est le but de ce voyage ?

Je prendrai la parole lors d’une conférence que la France organise sur la transparence de la dette, le 7 mai. C’est un sujet crucial pour l’Afrique. Beaucoup de pays du continent ont alourdi leur dette sans bénéficier en retour de projets à la hauteur de leurs investissements. Il est très important pour l’Afrique que l’usage de la dette soit le plus efficace possible. Il y a souvent un enjeu politique : les gouvernements s’endettent parce que cela correspond à leur calendrier électoral. Mais il faut aussi que les populations bénéficient des retombées de cet endettement sur le long terme. Il est positif que la France tienne une conférence sur ce thème pour que nous puissions améliorer le système.

La croissance des pays développés peut-elle influer sur celle de l’Afrique ?

Oui, parce que les pays africains exportent leurs produits vers l’Europe. Or les derniers chiffres du Fonds monétaire international (FMI) montrent un ralentissement généralisé en Europe. Par exemple, la croissance de la France est en train de ralentir et ça pénalise l’Afrique. Il est donc important que la France mette en place des réformes structurelles qui améliorent ses perspectives de croissance. Je pense notamment au secteur du travail. Il faut que le travail soit plus flexible et que les gens puissent facilement en changer. Cela va créer plus d’emplois pour les jeunes, parce qu’une entreprise sera plus encline à embaucher quelqu’un dont elle sait que, s’il ne convient pas, elle pourra facilement se séparer.

Depuis novembre, la France est en prise avec une crise sociale de grande ampleur. Pensez-vous que ces réformes structurelles soient compatibles avec cette crise ?

Le gouvernement français essaie de mettre en place des réformes et j’espère que les gens travailleront avec lui pour que ces changements puissent avoir lieu : ils amélioreront leurs conditions de vie. J’ai regardé le salaire médian de la classe moyenne en France, il n’a pas augmenté ces dernières années. C’est un gros défi : c’est ce que les gens veulent et c’est ce que le gouvernement aimerait pouvoir faire. Je pense qu’il y a de la place pour le dialogue et des discussions apaisées.

Les pays européens font face à plusieurs défis : montée de l’extrême droite, Brexit, « gilets jaunes » en France… Quelles sont vos perspectives pour l’Europe et comment pensez-vous que l’économie puisse régler ces questions ?

L’Europe fait face à plusieurs défis concernant son taux de croissance. Il y a le Brexit, le ralentissement observé en Allemagne, qu’on ressent aussi en Italie… Les réformes structurelles sont une étape cruciale pour améliorer la croissance. Comment permettre aux travailleurs d’aller dans des secteurs correspondant à leurs compétences ? Comment les finances peuvent-elles instaurer un climat des affaires attractif ? Comment encourager la création d’entreprises ?

L’une des statistiques les plus marquantes à propos de l’Europe, c’est qu’il y en a très peu, justement. C’est parce que la réglementation est compliquée : trop de procédures et pas assez d’innovation. Mais je pense qu’il y a une chance que la croissance de l’Europe reparte d’ici à 2020 pour rattraper la cadence. L’Europe est la zone économique la plus large : sa croissance est vitale pour le reste du monde.