La première ministre, Theresa May, et son mari, Philip, en chemin vers leur bureau de vote, dans la vallée de la Tamise (sud-est de l’Angleterre), le 2 mai 2019. / Andrew Matthews / AP

Après des mois d’intenses luttes internes et de déchirements permanents, les deux grands partis traditionnels britanniques paient le prix électoral de leur débâcle sur le Brexit. Les élections locales, qui se déroulaient jeudi 2 mai dans la plupart des provinces d’Angleterre (hormis Londres) et en Irlande du Nord, représentent un sérieux avertissement pour le parti conservateur, comme c’était attendu, mais aussi, dans une moindre mesure, pour les travaillistes.

« On savait que les électeurs étaient mécontents de la façon dont les tories s’occupaient du Brexit, mais il apparaît qu’ils ne sont pas heureux non plus de la réponse que le parti travailliste y a apporté, analyse John Curtice, politologue à l’université de Strathclyde. Les électeurs désertent le système des partis traditionnels. »

Nigel Farage en tête des sondages

Ce n’est peut-être qu’un coup de semonce. Les élections européennes, qui se tiendront dans trois semaines, sauf accord de dernière minute sur le Brexit, s’annoncent catastrophiques pour les deux principaux partis, et ouvrent un boulevard à toutes les alternatives. En particulier, le nouveau Parti du Brexit, créé par Nigel Farage, est en tête des sondages, oscillant entre 27 % et 30 % de soutien seulement trois mois après sa création. Pour de nombreux Britanniques, l’idée de voter pour des députés européens presque trois ans après avoir choisi par référendum de quitter l’Union européenne est inadmissible.

Selon les résultats d’un peu plus de la moitié des autorités locales, vendredi matin, les conservateurs perdaient plus de 440 sièges de conseillers municipaux, par rapport au scrutin de 2015, sur environ 3 100 déjà comptés, tandis que les travaillistes reculaient de près d’une centaine de sièges. Face à eux, tous les autres progressaient : libéraux-démocrates, Verts, mais aussi de nombreux candidats sans étiquette.

Les nouveaux partis, celui de M. Farage mais aussi Change UK, un nouveau groupe anti-Brexit, ne présentaient pas de candidats, se concentrant sur les élections européennes.

« Les électeurs nous disent qu’ils avaient voté pour le Brexit et qu’ils veulent qu’on s’exécute. »

La sanction va mettre la pression sur les leaders des deux grands partis, selon deux grandes fractures géographiques. Au sud, les conservateurs, traditionnellement très présents, reculent lourdement. Les électeurs sanctionnent l’implosion des tories, qui s’est étalée à la vue de tous lors des interminables débats à la chambre des Communes ces derniers mois. « Ce qu’ils nous disent est qu’ils avaient voté pour le Brexit et qu’ils veulent qu’on s’exécute », reconnaît Helen Whately, vice-présidente du parti conservateur.

Les appels à la démission de la première ministre Theresa May se sont une nouvelle fois renouvelés vendredi. « Il faut changer la direction du parti, peut-être que le moment est venu », attaque Priti Patel, une ancienne ministre conservatrice pro-Brexit.

Au nord de l’Angleterre, bastion traditionnel des travaillistes qui ont voté en majorité pour le Brexit, le Labour a lui aussi souffert. « Le message qu’on entend des électeurs est qu’ils ne sont pas contents de notre position sur le Brexit, reconnaît Steve Houghton, le maire de Barnsley, petite ville près de Leeds. Ils nous disent qu’il faut qu’on change. »

L’ambiguïté permanente de Jeremy Corbyn semble sanctionnée. Cet eurosceptique historique oscille entre la pression de ses membres – 80 % sont contre le Brexit – et le vote pro-Brexit des classes populaires, son soutien traditionnel. « Il y a deux principes opposés et nous essayons de les garder en tension, reconnaît Barry Gardiner, un ténor du parti travailliste. Nous pensons qu’il est possible de réconcilier les deux mais si le parti semble parler avec deux voix, le message est difficile à faire passer. »

Etrange campagne d’une élection inimaginable

Les déchirements internes des deux formations expliquent l’étrange campagne en vue d’un scrutin européen longtemps inimaginable. A trois semaines du vote, les préparatifs n’ont pas commencé. Les tories n’ont même pas publié de programme et continuent de vouloir croire qu’ils pourront éviter le scrutin.

« Notre priorité est de ne pas avoir ces élections, explique Brandon Lewis, le président des conservateurs. Nous devons tout faire pour respecter le résultat du référendum de 2016. »

Une telle hypothèse reste possible. Les négociations entre le gouvernement et le parti travailliste pour dégager un compromis continuent. Devant un comité parlementaire mercredi, Mme May a laissé la porte ouverte à un possible compromis. La question-clé est de savoir si elle est prête à rester dans l’union douanière européenne, la principale exigence des travaillistes. Face aux questions ­répétées des députés, elle a refusé d’exclure cette possibilité.

Politiquement, le résultat des élections locales pourrait pousser les deux partis à chercher un compromis, pour éviter la sanction annoncée par les sondages. Derrière le Parti du Brexit de M. Farage, les travaillistes sont en deuxième place (entre 21 % et 27 %) et les conservateurs relégués loin derrière, en troisième position (de 13 % à 16 %).

« Le système politique actuel est en train de s’effondrer. »

Quant aux anti-Brexit, ils sont profondément divisés, chacun à 10 % environ, entre libéraux-démocrates, Verts, et Change UK, un autre nouveau parti créé par des députés démissionnaires des conservateurs et travaillistes. « Le système politique actuel est en train de s’effondrer, veut croire Jan Rostowski, un candidat de Change UK. Je suis persuadé qu’il y a une place au centre pour réussir une percée. »

Compromis impossible

Un compromis reste néanmoins extrêmement difficile. Côté conservateur, accepter un Brexit plus doux que l’accord proposé initialement par Mme May, en restant dans l’union douanière, déchirerait encore plus le parti.

Côté travailliste, un compromis qui activerait la sortie de l’Union européenne provoquerait la colère des militants, très en faveur du maintien. Quant à M. Corbyn, il n’a guère intérêt à aider politiquement la première ministre. Lui qui rêve d’utiliser le Brexit pour accéder au pouvoir se délecte de voir les tories s’entredéchirer.

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