Arte, samedi 4 mai à 6 heures, série-documentaire

Quelques mois avant le vingtième anniversaire célébrant la chute du Mur de Berlin, Arte avait diffusé un programme (24 h Berlin) remarquable. Durant vingt-quatre heures, du 5 septembre 2008 à 6 heures du matin jusqu’au 6 septembre à l’aube, le réalisateur Volker Heise, ses équipes de tournage et 80 caméras avaient suivi pas à pas une quinzaine de Berlinois, aux âges et profils très divers. Cette immersion télévisée durant de longues heures au cœur de la capitale allemande s’était révélée convaincante, avec notamment des sujets originaux dénichés dans certains quartiers périphériques, loin des clichés touristiques.

Friande de ce type de projets sortant de l’ordinaire, la chaîne franco-allemande proposait, en avril 2013, un 24 h Jérusalem qui avait nécessité deux ans de préparation, connu plusieurs reports durant un tournage mouvementé et mobilisé 500 personnes, mêlant Israéliens et Palestiniens. Toujours aux manettes, Volker Heise déclarait à l’issue de ce projet :

« 24 h Jérusalem n’a pas de fin et peut être regardée de multiples façons… Nous avons tenté de reconstituer une grande image, mais l’on constate que les pièces ont du mal à s’assembler. Et c’est sur ces lignes de fracture que cela devient intéressant. »
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Après Berlin et Jérusalem, Arte voit encore plus grand, tout en gardant ce cadre temporel exigeant : filmer de 6 heures du matin à l’aube le lendemain des dizaines de citoyens dans leur vie quotidienne. Mais cette fois, pour compliquer encore un peu plus le travail des équipes de tournage, l’unité de lieu bien délimité d’une ville disparaît au profit d’un territoire immense, étalé sur plusieurs fuseaux horaires et peuplé de plus de 550 millions d’habitants aux rythmes de vie parfois très différents.

Ce terrain de jeu, filmé du 15 juin 2018 à 6 heures du matin au 16 juin à l’aube, c’est l’Europe, en toute simplicité. D’un village irlandais plein ouest au fin fond du Grand Est. Plus précisément jusqu’au pont qui, en plein centre de Magnitogorsk, en Russie, sépare officiellement l’Europe de l’Asie.

Une opération complexe

De l’Atlantique à l’Oural, de l’Islande à Gibraltar, le Vieux Continent apparaît, à travers les protagonistes choisis (lycéennes, étudiants, ouvrier sidérurgiste, médecin, musicienne, soldat, rappeur, banquière, prêtre, muezzin…), vivante, diverse, parfois inquiète d’un avenir incertain. A l’écran, le résultat de cette gigantesque opération vaut le détour avec ces vingt-quatre épisodes d’une heure chacun, ponctués de multiples rencontres et témoignages, mais aussi illustrés par des graphiques animés explicatifs bienvenus.

Un conseil ? Plutôt que d’engloutir tel un binge watcher de séries ces 24 heures à la suite, mieux vaut picorer un épisode de temps en temps. Sinon le flux de témoignages, de changements de décors et de problématiques, résultats d’un montage parfois un peu trop nerveux, risque de vous faire perdre le fil et d’amoindrir l’empathie que l’on peut ressentir pour ces jeunes adultes souvent attachants.

Sandrine, agricultrice française, travaille dans ses champs en compagnie de son fils. / MAURICE WEISS / ZERO ONE 24

Britt Beyer et Vassili Silovic, aux manettes de cette opération complexe, ont demandé à leurs équipes de tournage et à 45 réalisateurs différents de filmer dans vingt-six pays

La recherche des protagonistes a duré de longs mois, le montage final dix mois. Les personnages que l’on suit au fil des heures ont entre quinze et trente ans. A quelques rares exceptions, ils ont en commun de n’avoir jamais connu la guerre et ses ravages.

L’Europe vue du cœur de sa jeunesse

Mais, dans ce voyage tourbillonnant et parfois un peu trop dense, la guerre n’est pas absente, puisqu’une équipe de tournage est allée filmer sur la ligne de front dans l’est de l’Ukraine, faisant parler de jeunes soldats. C’est l’un des moments forts de cette journée et de cette nuit de juin 2018 qui, à travers les aventures banales du quotidien, les angoisses d’un futur trouble, les difficultés financières ou le sentiment d’apaisement de vivre en Europe plutôt qu’ailleurs, fait de ces 24 h Europe un produit sortant de l’ordinaire.

De l’Atlantique à l’Oural, de l’Islande à Gibraltar, l’Europe apparaît à travers les protagonistes, vivante, diverse, parfois inquiète d’un avenir incertain

« Afin de définir le cadre du récit, nous nous sommes penchés sur les thèmes de fond qui agitent cette génération : mobilité, écologie, nouveau féminisme, urbanisation, radicalisation politique, chômage », explique Britt Beyer.

« Il faut souligner que nos protagonistes ne représentent pas leur pays. La situation que nous racontons à travers eux concerne la jeunesse au-delà des frontières. Le format de 24 heures offre un cadre exceptionnel, qui permet de soulever des questions politiques, tout en restant vivant », estime Vassili Silovic.

Ce n’est donc pas l’Europe vue du ciel, mais l’Europe vue du cœur de sa jeunesse. D’une leçon de piano en Tchéquie à une réunion de militants indépendantistes catalans. Du service des urgences de l’hôpital universitaire de Bucarest au muezzin de Sarajevo. D’une balade en compagnie d’un jeune agriculteur irlandais à la patrouille nocturne d’une policière bruxelloise. C’est l’Europe d’aujourd’hui, et déjà celle de demain.

« 24 heures Europe », de Britt Beyer et Vassili Silovic (Belgique/Allemagne/France, 2 019, 24 x 60 min). Arte.tv/fr/videos/088768-000-A/24h-europe-trailer/