Vue au microscope de « Symbiontida euglenozoa », un organisme unicellulaire possédant un noyau et doté d’un sens magnétique. / CHRISTOPHER LEFEVRE et CAROLINE MONTEIL / iNSTITUT BIAM

Il paraît que les écologues microbiens ne se déplacent jamais sans leur petite fiole pour prendre des échantillons de sol, d’eau ou de sédiments partout où ils vont en quête de trésors inconnus. C’est en tout cas ce qu’a fait le Néo-Zélandais Richard Weld de l’entreprise Lincoln Agritech (propriété de l’université Lincoln à Christchurch). En septembre 2016, à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône), lors d’une conférence de spécialistes, il ramasse un peu de sédiments marins qu’il donne à son collègue du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Cadarache, Christopher Lefevre. Celui qui va, avec ses collègues, y découvrir l’un des Graal que les chercheurs guettaient depuis les années 1980 et qu’ils décrivent dans Nature Microbiology du 29 avril. « Quand on a vu ces organismes au microscope, on a jubilé. On s’est dit qu’on était les seuls à savoir que ces choses-là existent », se souvient Caroline Monteil, alors en post-doc au CEA.

Ce qu’elle avait sous les yeux n’était rien d’autre que le premier organisme unicellulaire eucaryote (possédant un noyau) doté d’un sens magnétique. Une bestiole de la famille des protistes, de 15 micromètres de long en forme de ballon de rugby, qui s’oriente selon les lignes du champ magnétique terrestre.

« Découvert en Méditerranée »

Sous le microscope, le ballet de ces bestioles s’inverse si l’on retourne les pôles d’un aimant à leur voisinage. Autre surprise, cette capacité à se repérer dans l’espace est donnée par des « boussoles » fixées sur le dos du protiste sous la forme d’une centaine de bactéries, qui jouent les passagers clandestins. Cette symbiose d’un nouveau genre explique le nom de l’organisme, Symbiontida euglenozoa. « Il était déjà connu mais personne n’avait relevé le rôle magnétique des bactéries sur son dos », souligne Ugo Cenci, enseignant-chercheur à l’université de Lille, qui n’a pas pris part au travail.

Au milieu des années 1980, une équipe avait pensé avoir trouvé une algue unicellulaire magnétotactique mais sans pouvoir le confirmer. Depuis, beaucoup cherchaient un tel organisme. « Maintenant qu’on l’a découvert en Méditerranée, on en a repéré aussi en Espagne, en Nouvelle-Zélande… », révèle Caroline Monteil.

Les chercheurs se demandent si cette symbiose actuelle n’existerait pas ailleurs, à un stade plus avancé, pour expliquer le mystère de l’orientation d’organismes plus complexes

Les bactéries accolées au protiste (une famille qui pourrait être les parents des organismes pluricellulaires) sentent le champ magnétique grâce à des cristaux d’oxyde de fer qui s’alignent sur ce champ en formant une petite chaîne à l’intérieur de l’organisme et lui donnent le cap. Des flagelles servent normalement à leur propulsion. Mais celles-ci ont disparu et elles se déplacent donc grâce à leur hôte. Celui-ci, en retour, bénéficie de ses passagères pour s’orienter. « C’est plus économique énergétiquement de se déplacer à une dimension en suivant une direction que d’explorer tout un volume », explique Damien Faivre, autre signataire de l’article. Ces déplacements servent bien sûr à trouver la bonne mangeoire, riche en nutriments. Autre bénéfice réciproque, la digestion du protiste fournit de l’hydrogène et du dioxyde de carbone que les bactéries apprécient pour leur propre repas. Accessoirement, le protiste peut aussi avaler ses boussoles.

Des analyses génétiques ont confirmé que cette association est bien une symbiose, installée depuis plusieurs générations. La nature a donc trouvé le moyen de faire acquérir une fonction à un organisme qui en était dépourvu, par ce mariage fusionnel. Et les chercheurs de se demander si cette symbiose actuelle n’existerait pas ailleurs, à un stade plus avancé, pour expliquer le mystère de l’orientation d’organismes plus complexes. Après tout, ce sont bien de telles symbioses qui ont permis l’apparition des mitochondries (les centrales énergétiques des cellules) ou des chloroplastes (les organites qui transforment la lumière en énergie chez les plantes).