Sur les images aériennes en noir et blanc de l’armée israélienne, on distingue un immeuble au coin d’une rue disparaissant partiellement dans un nuage de feu. Elles ne tranchent guère avec celles des nombreux autres bombardements menés par Israël lors de ce week-end, où des tirs de roquette et de mortier depuis la bande de Gaza ont tué quatre Israéliens et où les répliques de l’Etat hébreu ont coûté la vie à 23 Palestiniens.

Cette frappe, qui a visé samedi 4 mai un immeuble de la bande de Gaza, pourrait cependant constituer une première : Israël dit avoir, ce faisant, riposté à une attaque informatique. Jamais un Etat n’avait revendiqué ainsi l’emploi de la force militaire traditionnelle pour répondre à une cyberattaque.

Selon Tsahal, le bâtiment lourdement endommagé par la frappe aérienne abritait des membres du Hamas spécialisés dans les attaques informatiques, lesquels auraient lancé, un peu plus tôt, une opération contre Israël. On ne sait pas, pour l’heure, si ce bombardement de représailles a fait des victimes.

« Pour la première fois pendant des hostilités, le Hamas a essayé de lancer une attaque dont l’objectif était de perturber la qualité de vie des Israéliens. Nous ne souhaitons pas en dire davantage », a précisé au Monde Jonathan Conricus, porte-parole de l’armée israélienne :

« Nous les avons immédiatement repérés, nous les avons suivis dans l’ombre. Quand ils ont essayé de passer l’acte, on les a empêchés. Puis, dans un deuxième temps, nous avons décidé d’attaquer physiquement l’infrastructure concernée. »

Une première dans l’histoire de la « cyberguerre » ?

Depuis plusieurs années, les états-majors des armées et les juristes spécialisés tentent de définir les contours d’une riposte – légale – à une attaque informatique. L’armée israélienne vient de leur livrer un premier cas pratique, d’autant plus qu’il s’agit d’une réplique utilisant les moyens classiques de la guerre.

« C’est la première fois que je vois ça » explique Aude Géry, doctorante en droit international public à l’université de Rouen : « Nous ne sommes plus dans un cas de parallélisme des moyens, où l’on réplique par une attaque informatique à une attaque informatique, même s’il semble qu’il faille appréhender l’opération dans son contexte plus global, celui d’une série de frappes contre plusieurs cibles. »

Même si l’on ne peut exclure qu’un pays ait déjà riposté en secret à une cyberattaque avec des moyens conventionnels, c’est, en tout cas, la première fois qu’une armée revendique une telle riposte au beau milieu d’un conflit. En 2015, les Etats-Unis avaient bien tué, d’une frappe de drone, un hackeur de l’organisation Etat islamique (EI). Mais cet assassinat ciblé ne faisait pas immédiatement suite à une attaque informatique.

Le bâtiment d’où, selon Israël, provenait les attaques informatiques pilotées par le Hamas et qui a été endommagé par une frappe de l’aviation israélienne. / MAHMUD HAMS / AFP

En théorie, une attaque informatique peut tout à fait justifier une contre-attaque physique, si cette dernière s’inscrit dans le cadre de la légitime défense. Elle peut être invoquée seulement contre une agression armée et doit alors répondre à trois conditions, explique François Delerue, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem) : l’immédiateté, la nécessité et la proportionnalité.

Or, dans le cas précis du bombardement de l’immeuble gazaoui, ces deux derniers critères ne semblent pas remplis. D’une part, l’attaque informatique initiale semblait, selon l’aveu même de l’armée israélienne, de faible intensité. Le Hamas mène bien de nombreuses activités hostiles dans le cyberespace, mais ces dernières demeurent relativement modestes, bien en deçà de ce qui justifierait une frappe aérienne.

Une opération de communication poussée trop loin ?

D’autre part, selon le porte-parole de l’armée israélienne contacté par Le Monde, l’attaque n’aurait pas réellement eu lieu, puisque les services israéliens sont parvenus à la déjouer. « La frappe ne semble donc plus nécessaire, explique François Delerue, et cela semble disproportionné de bombarder un immeuble pour contrecarrer une attaque déjà stoppée. »

Pourquoi, dans ce contexte, avoir décidé de présenter cette offensive comme une réplique directe à une cyberattaque, quitte à se mettre en porte-à-faux vis-à-vis du droit international ? « Israël communique beaucoup sur les conflits armés et le recours à la force, notamment pour se justifier » rappelle François Delerue. Les autres messages du compte officiel de l’armée israélienne sur Twitter, au ton beaucoup moins humoristique, ont d’ailleurs rappelé la variété et le nombre des cibles visées, comme une manière de souligner que les cybercombattants du Hamas n’étaient pas les seuls dans leur viseur.