La pancarte tenue par Camélia avait été remarquée par les photographes depuis plusieurs semaines, notamment sur cette image, prise à Paris le 9 mars. / KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Au sein des cortèges des « gilets jaunes », la pancarte brandie par Camélia, 34 ans, était remarquée depuis l’acte IX du mouvement par de nombreux photographes. « Fin du monde, fin du mois, même combat », clamait le panneau fixé dans le dos de cette manifestante espagnole, qui a grandi au Maroc avant d’arriver en France à l’aube de ses 18 ans, en 2002. A l’occasion des cortèges du 1er-Mai, à Paris, Camélia avait également apporté un bouclier pour se protéger : « Je suis une utopiste pacifique/cela ne sert qu’à me protéger/je ne vous attaquerai pas », précisait le texte inscrit sur son rempart de fortune, immortalisé par cette photo publiée par CheckNews.

C’est ce même bouclier qui lui a valu d’être placée en garde à vue, mercredi 1er mai en fin de matinée, lors d’un contrôle d’identité effectué sur le boulevard Raspail, dans le 6e arrondissement de Paris. Alors qu’elle passait avec un ami un barrage policier pour se rendre au rassemblement pour le climat organisé dans la capitale, les policiers ont considéré que l’objet pouvait servir d’« arme par destination ».

34 heures de garde à vue

« Ce bouclier, j’ai commencé à l’emmener avec moi après la première Nuit jaune [le 2 février] sur la place de la République, où l’on s’est fait gazer dans tous les sens. Je réagis extrêmement mal au gaz lacrymogène », explique au Monde Camélia, qui ne souhaite pas divulguer son nom de famille. Une protection sans aucun lien avec sa grossesse, apprise très récemment, tient à préciser la manifestante après la parution d’articles allant dans ce sens. « On a beau être pacifiste, on est quand même sujet à se prendre des trucs au passage. C’est normal que je cherche à me protéger », explique-t-elle.

A l’issue de trente-quatre heures de garde à vue, le parquet de Paris a finalement classé l’affaire sans suite, jeudi 2 mai, au lendemain des manifestations. Pour la justice, l’affaire est close. Mais pas pour Camélia, qui n’est pas libérée pour autant. La Préfecture de police de Paris lui notifie dans la foulée son placement en centre de rétention administrative (CRA), mesure assortie d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui lui intime de quitter immédiatement la France par ses propres moyens. A peine sortie de garde à vue, la jeune femme se trouve de nouveau privée de liberté pendant deux jours.

« Je ne suis pas une charge pour l’Etat »

La Préfecture de police justifie son OQTF, que Le Monde a pu consulter, par le fait que Camélia représenterait une « menace à l’ordre public », l’un des motifs invocables en cas de demande de quitter le territoire, selon le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Son avocate, Me Norma Jullien-Cravotta, conteste le bien-fondé de cet argument :

« Le fait de se rendre à une manifestation pacifiste n’est pas une preuve de menace suffisante à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société. Le non-lieu demandé par le parquet montre bien qu’il n’y a pas eu d’infractions. »

« Pour eux, je suis une activiste avec des idées bien tranchées et il fallait qu’ils me fassent peur », estime Camélia, qui concède cependant « avoir conscience que le bouclier peut être vu comme une arme ». « C’est bien pour ça que j’ai ajouté toutes ces inscriptions et ces symboles pacifistes », précise-t-elle.

Selon les motivations rédigées par la Préfecture de police pour soutenir l’OQTF, Camélia se trouverait, par ailleurs, en « en situation de complète dépendance vis-à-vis du système d’assurance sociale français puisqu’elle ne justifie d’aucune assurance maladie personnelle en France ou dans son pays d’origine » et constituerait, ainsi, « une charge déraisonnable pour l’Etat français », ce qui justifierait son départ vers l’Espagne.

« Elle est employée d’association en CDI depuis 2017, la question des ressources ne se pose pas », assure pourtant Me Jullien-Cravotta, qui conteste également l’absence de couverture santé de sa cliente et met en avant ses attaches familiales en France, où vit son compagnon. Camélia explique gagner 1 300 euros net par mois en travaillant dans une association de protection animale. « Même quand j’ai vécu dans une caravane, les seuls 200 euros par mois que je touchais venaient de ma mère et je n’ai jamais demandé le RSA ou [une aide au logement à] la CAF. Je ne suis pas une charge pour l’Etat », se défend la jeune femme, qui estime sa privation de liberté « indéfendable ».

« J’aurais été bien plus amochée par la manifestation »

« Aucune interprétation, même la plus extensive, des textes français et européens n’autorise ce placement en rétention et cette menace d’expulsion », a dénoncé le Collectif national pour les droits des femmes, qui s’est notamment mobilisé sur Twitter pour demander l’abandon des poursuites dès le transfert de Camélia vers le CRA. Après deux jours passés au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), Camélia a finalement été libérée dimanche 5 mai sur demande du juge des libertés et de la détention, qui a jugé son placement injustifié.

La manifestante reste cependant toujours visée par une OQTF et par une interdiction de circuler pendant vingt-quatre mois en France. Sa défense a déposé un appel suspensif auprès du juge administratif, qui permet à Camélia de reprendre son travail dans son association en région parisienne le temps que le tribunal administratif examine son recours, avant le début du mois d’août.

« Je suis carrément contente d’avoir été arrêtée, estime sur un ton aussi enjoué que déterminé la jeune femme, persuadée de l’issue positive de ce recours. J’aurais été bien plus amochée par la manifestation, des images que j’ai pu en voir, c’était un carnage », conclut-elle.

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