L’intelligence artificielle (IA), domaine de recherche en plein essor, est au cœur de la médecine du futur. Ses applications concerneront d’abord le traitement des données de l’imagerie médicale, mais aussi les opérations assistées, les prothèses intelligentes... A terme, elle ouvre l’espoir d’une médecine prédictive, préventive et personnalisée, grâce à l’analyse et au recoupement d’un très grand nombre de données de santé (big data). / Javier Larrea / Getty Images/age fotostock RM

« D’ici à cinq ans, le deep learning (“apprentissage profond”) fera mieux qu’un radiologue », affirmait Geoffrey Hinton, un des pionniers du secteur, lors d’une conférence à Toronto en 2016. Vision prémonitoire ou pur effet d’annonce ? « Dans les vingt prochaines années, l’IA va changer la médecine, c’est une certitude. Mais les outils d’IA ne remplaceront jamais la décision du médecin », rétorque aujourd’hui Alain Livartowski, oncologue et directeur des data de l’Institut Curie (Paris).

L’exemple de la radiologie ne doit rien au hasard. C’est en effet dans le domaine de la reconnaissance d’images que les promesses de l’intelligence artificielle (IA) se concrétiseront en premier, « pour analyser des images de radiologie ou d’anatomopathologie [sur des coupes de tissus], précise Alain Livartowski. Cela permettra des économies de coûts, un gain de temps et peut-être de précision ». L’Organisation mondiale de la santé, par ailleurs, recense pas moins de 55 000 types de maladies, syndromes et lésions uniques. Une vertigineuse complexité, qui surpasse de loin les capacités de lecture humaines. « Pour la radiologie, l’IA est la solution », juge Francis Besse, radiologue au Centre cardiologique du Nord à Saint-Denis.

Révolution radiologique

« L’interprétation des images reste un goulot d’étranglement dans la chaîne des soins, renchérit Anne-Laure Rousseau, médecin vasculaire spécialisée en échographie à l’hôpital Georges-Pompidou et à l’hôpital Robert-Debré (APHP), à Paris, et présidente de Nhance, une ONG consacrée à l’IA dans la santé. Prenons l’échographie : les sondes, aujourd’hui miniaturisées, sont peu coûteuses et transportables jusqu’au lit des patients. Si un algorithme pouvait aider des médecins non radiologues à interpréter les images obtenues, cette technique pourrait être accessible à 5 milliards de personnes dans le monde, qui aujourd’hui ne bénéficient d’aucune technique d’imagerie. » Une révolution : « Chacun de nous subira une erreur de diagnostic dans sa vie », estime l’Académie américaine des sciences. Et le taux d’erreurs, pour l’ensemble des techniques d’imagerie médicale, serait actuellement de 30 %, selon un bilan des analyses rétrospectives de ces examens (Bruno et al., « Understanding and Confronting Our Mistakes », RadioGraphics, 14 octobre 2015).

« Le métier va changer mais ne disparaîtra pas. Plus l’imagerie médicale sera performante, plus on aura besoin de radiologues compétents. »

Cela mettra-t-il pour autant les radiologues – et les anatomopathologistes – au chômage ? Francis Besse n’en croit rien. « Le métier va changer mais ne disparaîtra pas. Plus l’imagerie médicale sera performante, plus on aura besoin de radiologues compétents. » Les radiologues, explique-t-il, passent énormément de temps à des tâches ingrates, répétitives et chronophages. « Sur 400 coupes, seules 10 présentent des images suspectes. L’opérateur passe un temps fou à faire le tri. Si un outil d’IA parvenait à distinguer ces 10 images, cela libérerait le radiologue d’un temps considérable. » Dès lors, le radiologue pourrait se consacrer à deux missions essentielles : dialoguer avec le patient, et mieux guider les thérapeutes – par exemple, l’IA pourrait affiner la délimitation des bords d’une tumeur, ce qui permettrait de mieux cibler les traitements (chirurgie, radiothérapie).

Les promesses de la « 4P »

Les promesses de l’IA en santé ne se limitent pas à l’imagerie médicale. Ce qui se profile, c’est l’espoir d’une médecine dite « 4P » – prédictive, préventive, personnalisée et participative. « L’IA peut “mouliner” des données de nature très différente : des données de génomique, des marqueurs sanguins, des signaux physiologiques, des données d’imagerie, des données sur l’histoire médicale du patient et ses modes de vie, parfois enregistrés à l’aide d’objets connectés… Sans compter la masse colossale des données épidémiologiques », explique le professeur Nicholas Ayache, spécialiste des images médicales numériques à l’Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria).

« D’ici quinze à vingt ans, chaque patient aura son propre traitement » Nikos Paragios, PDG de la société TheraPanacea et professeur de mathématiques à CentraleSupélec

« Sans aucune hypothèse biologique de départ, l’IA change de paradigme. Elle découvrira des associations particulières. Quand, chez un patient donné, certaines variables seront réunies, elle pourra prédire que tel traitement sera le plus bénéfique. D’ici quinze à vingt ans, chaque patient aura son propre traitement », anticipe Nikos Paragios, fondateur, PDG de la société TheraPanacea et professeur de mathématiques à CentraleSupélec – université de Paris –Saclay. « Je me suis récemment retrouvé face à un patient atteint d’une maladie dégénérative. J’avais sur mon bureau les données cliniques, les imageries biologiques, le profil génétique. Mon cerveau a dû brasser ces multiples informations afin de définir la pathologie et son traitement. Demain, ça sera fini. Un algorithme m’apportera une aide à la décision », témoignait pour sa part Olivier Véran, neurologue, député (LREM) de l’Isère, lors du Forum Data & Santé le 26 mars.

Irremplaçable intelligence naturelle

La machine dépossédera-t-elle le médecin d’un certain pouvoir ? Il faut relativiser. Car d’ores et déjà, dans bien des spécialités, le médecin ne décide pas seul des traitements. En cancérologie, par exemple, « la décision thérapeutique relève d’un arbre décisionnel rigide, établi à la suite de nombreuses études, selon les critères d’une “médecine fondée sur les preuves”. Dans ces protocoles très standardisés, le niveau d’initiative du médecin reste très limité », explique Francis Besse. L’IA devrait aussi aider le médecin à mieux cibler ses conseils d’hygiène de vie, ses messages de prévention. Et « grâce à un recueil pertinent de données, notamment par des objets connectés, l’IA pourrait aussi prédire la survenue d’accidents aigus (infarctus, AVC, etc.) », espère Francis Besse.

« L’IA ne remplace pas aujourd’hui la connaissance globale que peut avoir le médecin de son patient » Nicholas Ayache, spécialiste des images médicales numériques à l’Inria

L’IA, remède à tout ? Pas encore. « Plus de 3 000 études ont été publiées en 2017. Mais aujourd’hui, personne ou presque n’a l’expérience de l’utilisation de l’IA en médecine », affirme Alain Livartowski. En outre, toute une dimension humaine essentielle lui échappe : le vécu, l’environnement, l’état psychique des personnes… « L’IA ne remplace pas aujourd’hui la connaissance globale que peut avoir le médecin de son patient, certifie Nicholas Ayache. L’intelligence naturelle a encore toute sa place dans l’exercice de la médecine. »

Le programme RESO 2019

Les 1res Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO) se tiendront mardi 14 mai 2019, de 9 heures à 17 h 30, au Corum de Montpellier, place Charles-de-Gaulle, 34000 Montpellier. Entrée libre sur inscription (laregion.fr/reso2019#Inscriptions).

Conférences, tables rondes et retours d’expériences exploreront le futur de l’emploi, des métiers et du travail à l’heure de la transformation numérique.

Tout au long de la journée, ouverte par Carole Delga, présidente de la région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, se succéderont :

– des dirigeants d’entreprises : Fabienne Dulac, (PDG Orange France), Nicolas Sekkaki (CEO IBM France), Pascal Demurger (PDG MAIF), Chantal Genermont (directrice du numérique d’Enedis) ;

– des acteurs de la recherche et de l’enseignement : Isaac Getz (ESCP Europe), Patrice Flichy (université Paris-Est-Marne-la-Vallée), Anne Lalou (Web School Factory), Jean-Patrick Respaut (université de Montpellier) ;

– des acteurs de l’économie sociale et solidaire : Laurence Grandcolas (MySezame), Jean-Louis Kiehl (Fédération française des associations Crésus), Léa Zaslavsky (Makesense) ;

– des acteurs de l’emploi et de la vie économique : Fabienne Arata (LinkedIn France), Alain Roumilhac (Manpower France), Camille Morvan (Goshaba), Bruno Grandjean (Alliance industrie du futur) ;

– des start-up de la région Occitanie.

En conclusion, conférence d’Etienne Klein sur « IA et éthique ».

Dossier réalisé en partenariat avec la Région Occitanie.