Ziad, 23 ans, à l’arrière d’un pick-up qui fonce vers la ligne de front d’Aïn Zara, dans la banlieue sud de Tripoli, le 25 avril. / Samuel Gratacap pour Le Monde

Tôt le jeudi 25 avril, j’ai rencontré Omar et Ziad, de jeunes combattants originaires de Benghazi et Misrata. Nous avons échangé nos contacts dans l’idée de nous revoir plus tard. Je suis photographe de presse, en Libye une dizaine de jours pour Le Monde. Trois jours après, le dimanche soir, Omar m’envoie une photo sans explication. Je reconnais le visage de Ziad. Il a les yeux fermés. Un bandage autour de la tête lui tient la mâchoire. Je le pense blessé et endormi.

Ma nationalité française n’avait jamais été si impopulaire que durant ce reportage en Libye. Le soutien de Paris au camp du maréchal Khalifa Haftar y est pour quelque chose, évidemment. Et dans ce climat d’hostilité générale, Ziad a été l’un des rares sourires croisés sur ce terrain de guerre. J’avais fait son portrait à l’arrière d’un pick-up qui fonçait vers la ligne de front d’Aïn Zara, dans la banlieue sud de Tripoli. Il a rejoint les combats après nos échanges. Il n’avait pas d’arme sur lui, elle l’attendait sur le front. Il conduisait les canons anti-aériens ZU-23-2 positionnés à l’arrière de 4x4 Toyota.

« Ne reviens pas ici »

« Nous ne sommes pas Daesh [l’acronyme arabe du groupe Etat islamique] », m’avait-il répété, avant de me demander de lui envoyer les photos que j’avais faites de lui. Je n’aurai même pas eu le temps. Ziad est mort à 23 ans. Il avait déjà combattu Daesh lors de la bataille de Syrte, en 2016, à peine sorti de l’adolescence. Trois ans plus tard, le revoilà au front. Et c’est sous une frappe aérienne des troupes du maréchal Haftar qu’il a laissé la vie, le 28 avril.

On ne s’était pas croisés longtemps, je suis juste passé dans cette guerre. Une bien sale guerre. Un mois après le début, des vidéos d’exactions et de tortures tournent déjà sur les réseaux sociaux. Des images d’horreur. Celles d’un d’homme traîné par terre, d’un autre attaché les yeux bandés derrière un véhicule, d’un troisième pendu par la tête contre des blocs de pierre et abattu à bout portant. D’autres montrent des hommes posant, souriants, autour de cadavres. Des sourires au premier plan, des corps sans vie derrière.

C’est dans ce climat qu’a baigné Ziad avant de perdre son sourire. Et déjà beaucoup d’autres Ziad sont morts. Tous Libyens, tous persuadés d’être du bon côté de ceux qui tuent, bien que certains évoquent aussi la honte de s’en prendre à leurs compatriotes. « Ne reviens pas ici en Libye, la Libye c’est terminé. La Libye c’est la honte ! » : des mots que j’ai entendus aussi durant ces dix jours de guerre.