Julius Malema, leader des Combattants pour la liberté économique (EFF), lors d’un meeting à Soweto, en Afrique du Sud, le 5 mai 2019. / MICHELE SPATARI / AFP

L’enfant terrible de la politique sud-africaine se serait-il assagi ? Dans ses spots de campagne, Julius Malema, tout sourire en costume-cravate, entouré de drapeaux et d’une bibliothèque de livres, fait « présidentiable ». Adieu le béret et le tee-shirt rouges, ainsi que les kilos en trop ; le leader populiste de gauche radicale apparaît métamorphosé. Aux élections générales de ce mercredi 8 mai, celui que l’on prenait pour un clown lorsqu’il a lancé son parti des Combattants pour la liberté économique (EFF), il y a six ans, arrive en position de force : d’après les derniers sondages, il devrait au moins doubler son score de 2014, quand il avait recueilli 6,35 % des suffrages.

Encombrant et incontrôlable, l’ancien président de la ligue des jeunes du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), expulsé de la formation en 2012 pour insubordination, veut faire des EFF un parti de gouvernement. Et le troisième homme du scrutin, après le président Cyril Ramaphosa pour l’ANC et Mmusi Maimane pour l’Alliance démocratique (DA, libéral), est bien parti pour se retrouver en position de faiseur de roi dans plusieurs provinces, dont celles du Gauteng, qui englobe la métropole économique, Johannesburg, et la capitale, Pretoria.

En six ans, le rouge s’est durablement implanté dans le paysage politique sud-africain. Au Parlement, les députés EFF, Malema en tête, ont ferraillé dur contre le gouvernement de Jacob Zuma. En venant parfois aux mains, ils n’ont cessé de vociférer contre les affaires de corruption visant l’ancien président, scandant « Rends l’argent ! » à chacune de ses apparitions.

Soupçons de corruption

Le spectacle n’aura duré qu’un temps. Depuis que Jacob Zuma a quitté le pouvoir, en février 2018, les EFF eux-mêmes sont rattrapés par les affaires. Plusieurs lieutenants de Malema seraient impliqués dans le pillage de la banque sud-africaine VBS, qui a fait faillite l’année dernière. Julius Malema lui-même a des démêlés avec le fisc et est soupçonné de corruption dans l’attribution de marchés publics dans la province du Limpopo, dont il est originaire.

Croisée à Seshego, le township de son enfance, près de Polokwane, c’est sa propre cousine qui le dit. « Les EFF viennent de l’ANC, qui est corrompu jusqu’à la moelle. Ce sont les mêmes personnes. Ça vous étonne ? », demande Rosina Sinyokasi, 24 ans. Elle donnera son vote à l’ANC : « J’adore mon cousin, mais il manque encore de maturité. » Dans son quartier, la maison où il a grandi avec sa grand-mère (décédée le 4 mai), est la plus belle des environs. A 38 ans, Julius Malema est le nabab local : on vient le voir pour les petits soucis d’argent, pour aider à financer les enterrements. « Il passe très souvent, il est très respecté ici. Les EFF aident tout le monde, ils donnent des couvertures aux grands-mères l’hiver », explique Herman Leboyo, un jeune du quartier.

Là où la ligue des jeunes de l’ANC était un joyeux bazar, les EFF sont une organisation soudée que Malema tient d’une main de fer : lors de ses déplacements, son service d’ordre en tenue de camouflage estampillée « DOR » (« défenseurs de la révolution ») veille au grain. Dans ses meetings, il use et abuse de la provocation, son arme politique fétiche, notamment avec ses tirades anti-Blancs. Poursuivi à plusieurs reprises pour « incitation à la haine raciale », Malema aime entretenir la confusion. « Les Blancs savent très bien qu’on ne va pas les tuer », déclamait-il encore fin avril. Lui qui, il y a quelques années, entonnait « Kill the Boer » avec ses partisans, termine son discours en chantant « Kiss the Boer ».

« Les Blancs ont peur de l’égalité »

Dans les travées du stade du township d’Alexandra où ils sont venus voir « Juju » le 1er mai, ses supporteurs rassurent : « Tout son discours sur les Blancs est une blague. On ne peut pas faire sans eux. S’ils me donnent leur terre, j’en ferai quoi ? Je préférerais qu’ils me donnent un travail », explique Dumisami Ngone, 43 ans. On dit qu’il séduit surtout les jeunes Noirs sans emploi des townships, mais à Alexandra, tous les âges sont représentés.

En plus de taper sur les Blancs et l’ANC, où il va chercher ses voix, il déroule son programme, qui tient en un mot : « partager ». « Les Blancs me font passer pour un criminel et un lunatique, mais ils ont surtout peur de l’égalité », explique-t-il. Autoproclamé « commandant en chef des pauvres », il promet des emplois, des logements et l’éducation gratuite. « L’ANC ne veut pas que vous soyez éduqués. Ils préfèrent vous maintenir dans l’ignorance, comme ça ils vous donnent des aides et vous, vous les maintenez au pouvoir », dit-il.

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Il promet surtout la terre. Sa mesure phare, l’expropriation sans compensation, a d’ailleurs été récupérée par l’ANC, preuve de l’influence qu’il conserve sur le parti au pouvoir, ou plutôt de la menace qu’il représente. Après le 8 mai, va-t-il s’associer avec la DA pour faire tomber l’ANC dans quelques provinces, ou avec son ex-parti ? « Ma condition préalable pour n’importe quelle coalition sera d’abord qu’ils viennent enlever toutes les ordures des townships. Vous me direz s’ils l’ont fait, et ensuite on parlera », promet-il aux habitants d’Alexandra. Un populiste en grande forme.