Bain de minuit sur la plage abandonnée de Saint-Eugène, en septembre 2016. / Camille Millerand

C’est une histoire d’amour avec un pays. Un coup de foudre qui peut nourrir des années de travail. Le photographe Camille Millerand, qui collabore régulièrement avec Le Monde, a découvert l’Algérie il y a huit ans : « C’était en 2011, j’atterrissais pour la première fois à Alger. J’allais y retourner une quinzaine de fois. J’aime l’Algérie, ses gens, ses paysages, ses bruits, son autodérision », dit-il.

De ces années, le photographe a sélectionné 24 clichés réunis dans l’exposition « Bled Runner », accueillie par la galerie Agnès b. à la halle des Blancs-Manteaux, à Paris, du vendredi 10 au dimanche 12 mai, le temps de la foire de photo documentaire Photo Doc. Des images qui racontent les quartiers populaires d’Alger et la vie de débrouille que l’on y mène, avec toute sa dureté, sa poésie et son énergie.

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Il y a d’abord le quotidien de ces migrants subsahariens qui se sont arrêtés un temps en Algérie, quelques mois ou quelques années, comme une étape sur leur chemin vers l’Europe. Camille Millerand les rencontre pour la première fois en 2014, alors qu’il couvre l’élection présidentielle pour le quotidien El Watan. Envoyé en banlieue d’Alger, avec la journaliste Leïla Berrato, pour couvrir une dispute de voisinage, ils font la connaissance de Fabrice, un Camerounais installé en Algérie depuis dix ans. C’est lui qui va leur faire découvrir « Derwisha », sa maison, une bâtisse de deux étages sans toit, où vivent une trentaine de migrants.

Rodrigue, ici à Derwisha (Aïn Benian) en septembre 2017, a travaillé pendant cinq ans sur les chantiers algériens avant de rentrer à Yaoundé en avril 2019. / Camille Millerand

Pendant cinq ans, les rendez-vous vont se multiplier avec les habitants de Derwisha. Le résultat est un film de quarante minutes sorti en septembre 2018, mais aussi des images : les photographies de ces hommes et de ces femmes qui tentent de s’en sortir dans un pays où la débrouille est le mot d’ordre pour tous, étrangers comme Algériens. « Dans les quartiers populaires comme Climat de France, Diar El Kef, Sidi Abdallah et Ali Mendjeli, le peuple se débrouille, entre métiers informels, commerces de proximité et petits larcins, et c’est la même chose à Derwisha. Ils ont des réalités de vie très proches. J’ai voulu relier ces deux univers, loin de la confrontation qu’on présente d’habitude », explique Camille Millerand.

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Ses photographies se répondent. On y retrouve la même impatience de vivre. Celle de Rodrigue, 33 ans, qui a travaillé pendant cinq ans sur les chantiers algériens avant de rentrer à Yaoundé avec ses économies. Celle de cette « plage abandonnée » où deux hommes se baignent dans l’immensité bleue, moment suspendu dans un quotidien chaotique. Ou encore cette partie de billard au bord de la route entre Constantine et Annaba, dans le vert tendre des champs. « En Algérie, photographier l’intime prend du temps. Les gens ont besoin de retrouver confiance dans l’image qu’on renvoie d’eux. Ça s’est construit au fil des années. Je ne pensais pas que ça m’emmènerait jusque-là », reconnaît le photographe.

Exposition « Bled Runner », de Camille Millerand, à la halle des Blancs-Manteaux, 48, rue Vieille-du-Temple, Paris-4e, du 10 au 12 mai.