Les membres du Collectif africain en Suisse, au Salon du livre de Genève, le 5 mai 2019. / Gladys Marivat

En ce dimanche 5 mai, c’est bientôt le moment de monter sur scène pour les membres du collectif qui clôturent le Salon africain, dans le cadre du 33e Salon du livre de Genève (du 1er au 5 mai). Hermine Meido, l’aînée du groupe, se souvient de l’époque où la littérature africaine était quasi absente de l’événement. « Les éditions Présence africaine disposaient d’une petite table sur le stand des éditions Zoé. J’étais la vendeuse. Il fallait faire quelque chose pour représenter le continent », se rappelle celle que les plus jeunes du groupe surnomment « Maman Hermine ».

C’est elle qui, en 2013, a créé le Collectif africain en Suisse, avec plusieurs associations locales qui s’intéressaient à la culture du continent, pour promouvoir l’art africain. Pour cette psychologue, l’enjeu dépasse la littérature : « Dans mon métier, je vois presque tous les jours des enfants déracinés, perdus, des Africains pour la plupart. Mon but est de les aider à retrouver leurs racines. Cela passe par un espace, des livres, la mode et, pourquoi pas, la nourriture. »

Dimanche, la diaspora avait carte blanche pour clôturer le Salon africain. Sur scène, six personnes ont lu un poème, vêtues d’habits traditionnels. Parmi elles, Marie-Andrée Ciprut, une écrivaine martiniquaise qui fait partie du collectif depuis le début. Elle a choisi « A l’Afrique », d’Aimé Césaire. « Je suis d’une identité mélangée, dit-elle. Je me considère tout à la fois africaine, européenne et antillaise. Et je ne me sens pas dispersée, je suis un tout. » Pour Colinette Haller, écrivaine suisso-angolaise, le « métissage culturel » traduit l’expérience de la diaspora africaine en Suisse : « Ce collectif nous permet de nous connaître les uns les autres et de partager nos géographies intérieures. » Elle lira « Le Chercheur d’or », de René Depestre.

Retour aux origines

Mais pour les plus jeunes, l’enjeu est la réappropriation d’une identité tronquée. « Comment se construire à travers l’image que nous renvoie un dominant qui n’a pas cherché à nous connaître ? », interroge Zima. Ce jeune homme né en Suisse raconte comment son père l’a élevé comme un « Kongolais », rattachant ses origines à l’histoire du royaume du Kongo (1390-1914). Il a prévu de lire un texte de Coups de pilon, du poète sénégalais David Diop (Présence africaine, 1956).

A ses côtés, Alexandre Almeida secoue la tête. « On est une génération qui veut retrouver ses racines, mais il faut se méfier de certains extrémismes dangereux qui ont besoin d’être contre l’Occident, contre les Blancs. C’est diviser l’humanité, prévient le jeune homme, né en Suisse d’une mère portugaise et d’un père camerounais. Ce n’est pas parce qu’on revendique ses origines qu’il faut écraser les autres et, comme les adeptes du kémitisme, se gargariser d’un passé égyptien glorieux. Il faut faire preuve d’humilité et être d’abord en paix avec soi-même, pour tendre vers l’humanité et ne pas se perdre. » Alexandre a choisi le recueil d’un autre grand poète sénégalais : Leurres et Lueurs, de Birago Diop (Présence africaine, 1960).

L’heure de monter sur scène approche et le débat se poursuit entre Alexandre et Zima. « Quand quelqu’un change de place, il oblige l’autre à faire de même, c’est une question de systémique, explique ce dernier. Se réapproprier son identité ne devrait pas mettre qui que ce soit en péril. Mais cela implique un changement de comportement de la part des dominants. » Pour Zima, le kémitisme est surtout un retour aux origines par le biais des travaux de Cheikh Anta Diop. « Cela fait du bien de savoir qu’on n’est pas que dans le négatif, mais l’important n’est pas tant le passé que ce que nous pouvons faire dans l’avenir pour l’humanité. Il s’agit de redéfinir de nouvelles relations d’homme à homme », avance-t-il.

Alexandre persiste dans son opinion, appelant à la « grande finesse » de Patrick Chamoiseau et d’Edouard Glissant sur « l’identité multiple » : « Qui veut la paix prépare la paix. Beaucoup de gens défendent l’identité africaine de manière trop radicale. Les jeunes Africains un peu perdus doivent écouter qui parle et comment. Il leur faut trouver où aller et comment, sans forcément écraser l’autre. »

Lire « à la source »

Seben Sium, trésorière du collectif d’origine érythréenne, annonce qu’elle lira un poème d’un jeune auteur érythréen non traduit en France. Elle explique qu’en Erythrée, les écrivains s’expriment et sont lus en tigrigna.

Zima tend l’oreille, puis affirme que la transmission d’un monde se perd dans la traduction, d’où son objectif de pouvoir lire « à la source ». On se dit qu’il n’a pas choisi les poèmes de David Diop par hasard. Dans Coups de pilon, le Sénégalais sonde le déchirement de ne pouvoir écrire dans une langue africaine : « Afrique mon Afrique/Je ne t’ai jamais connue/Mais mon regard est plein de ton sang/Ton beau sang noir à travers les champs répandu/Le sang de ta sueur/La sueur de ton travail/Le travail de l’esclavage/L’esclavage de tes enfants… »

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Bientôt, Laza Nelson Malungu, le plus jeune du collectif, lira un poème extrait des Roses du Congo, de Prince Habib LeKouelewe (L’Harmattan, 2015). « Nos cultures sont majoritairement orales, affirme-t-il. Malheureusement, nous n’avons pas tous les moyens de traverser l’océan pour aller écouter les griots ou nos anciens. Donc la littérature est très importante. C’est la base de l’éducation qu’on reçoit à l’école ou qu’on se donne à nous-mêmes. C’est aussi un puissant canal pour ceux qui se battent pour se faire entendre depuis l’Afrique. » Et un terreau fertile pour ceux qui se cherchent ici.