Dans une tribune publiée mercredi 8 mai par L’Express, une centaine de médecins demandent un « arrêt immédiat » du « fichage » par les autorités sanitaires des personnes blessées lors des mouvements sociaux. Ils dénoncent une « dérive inacceptable » dans l’extension de cette pratique à des « gilets jaunes » lors de certaines manifestations.

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », il y a cinq mois, le fichier SI-VIC – système d’information pour le suivi des victimes, mis en place après les attentats de 2015 –, est « détourné par l’administration hospitalière et les agences régionales de santé (ARS) », notamment à Paris et en Ile-de-France, accusent les signataires de cette tribune.

« Dérive inacceptable »

« L’existence même d’un fichier parallèle renseigné après sélection de nos patients pour n’y entrer que les “gilets jaunes” est parfaitement antidéontologique », s’alarment ces médecins. D’autant que les patients concernés ne reçoivent aucune information sur ce fichier et que leur consentement n’est pas recueilli.

« Nous sommes face à l’institutionnalisation d’une dérive inacceptable : le fichage de patients à des fins possibles d’exploitations politiques ou judiciaires. Cette dérive constitue une faute pénalement répréhensible », relèvent encore les signataires, qui entendent répondre à des « demandes illégales » par un « devoir de désobéissance éthique ». Ils demandent « l’ouverture d’une enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur l’utilisation dévoyée du logiciel SI-VIC ».

Parmi les médecins signataires figurent le cofondateur de Médecins du monde Jacques Bérès, celui de Médecin sans frontières, Xavier Emmanuelli, l’ancien ministre et député Bernard Debré (LR), l’urgentiste Patrick Pelloux, le pionnier des greffes du visage Laurent Lantieri, ou encore le chirurgien Philippe Denormandie, père du ministre du logement, Julien Denormandie.

Un usage « inapproprié », selon l’AP-HP

L’utilisation du fichier SI-VIC pour les « gilets jaunes », révélée à la mi-avril par Le Canard enchaîné, avait conduit l’un des manifestants concernés, blessé à Paris lors de l’acte XIII du mouvement, le 9 février, à déposer une plainte pour fichage « illicite ».

L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avait rejeté ces accusations avant de reconnaître que le fichier nominatif SI-VIC avait parfois inclus « de manière inappropriée » des précisions de nature médicale – comme le fait que telle ou telle victime avait été blessée par un tir de LBD ou un coup de matraque –, une pratique qu’elle avait dit vouloir « corriger ».

Interrogée la semaine dernière sur Europe 1 à propos de cette polémique, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, avait réfuté tout « fichage ». « On ne sait pas si les blessés qui arrivent [aux urgences] sont des patients qui ont été bousculés, des forces de l’ordre, des “gilets jaunes” ou des journalistes. L’information n’est pas demandée », avait-elle déclaré, assurant en outre que le système informatique n’était « pas accessible » au ministère de l’intérieur.