Pour l’heure, les manifestations de sportifs n’ont pas fait ciller la ministre des sports, Roxana Maracineanu, très présente sur les plateaux de télévision pour rappeler qu’« aucun cadre ne perdra ni son métier, ni son statut ». / LUDOVIC MARIN / AFP

Le mot d’ordre s’est répandu le week-end du 4-5 mai via les réseaux sociaux, de comptes Twitter en vidéos Facebook, pour inonder les écrans de la ministre des sports, Roxana Maracineanu : « Soutien aux CTS ». Trois lettres désignant les conseillers techniques sportifs, ces quelque 1 600 fonctionnaires qui sont la sève du sport français depuis plus d’un demi-siècle.

Jeudi 9 mai au matin, les CTS ont prévu de se rassembler devant le ministère des sports pour protester à nouveau contre le désengagement de l’Etat, qui souhaite transférer la responsabilité directe de ces conseillers aux fédérations. Une mobilisation en marge de la manifestation nationale en défense de la fonction publique fixée l’après-midi.

Entre leur ministre et leurs entraîneurs, les sportifs ont choisi leur camp. Ce sont eux qui ont abreuvé les réseaux sociaux de tweets accusateurs et de photos ou vidéos mises en scène à la piscine, sur un ring de boxe. Ou encore sur le podium d’une compétition de tir à l’arc, où l’on vit les trois membres de l’équipe de France former les lettres « CTS » de leurs doigts d’archers.

Les figures de l’athlétisme se sont aussi faites revendicatives, comme Renaud Lavillenie - « Laissez nous les moyens de nous préparer sereinement pour les grandes compétitions » -, ou ironiques, comme Kevin Mayer : « Discussion au gouvernement : “Comment être le premier pays hôte aux JO à ramener moins de médailles que d’habitude ?” “Je sais ! Vu que tous nos champions n’en seraient pas là sans CTS, on supprime tous les postes pour qu’aucun autre champion n’émerge !” »

Ils ont été imités par d’autres sportifs olympiques et deux personnalités des équipes de France de handball et de basket, Nikola Karabatic et Evan Fournier. En octobre 2018, environ 400 sportifs avaient déjà demandé, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, « le maintien d’un encadrement public au sein de (leurs) disciplines sportives ».

« On s’est dit que c’était aussi à nous de prendre position »

L’initiative auprès du chef de l’Etat avait surpris, de la part d’un corps souvent discret sur les questions politiques et peu enclin à toute forme de mobilisation collective.

« Chaque sportif vit dans son coin, a tellement intériorisé le sentiment qu’on était dans un espace concurrentiel - y compris discipline envers discipline - qu’on ne sait pas se mobiliser », analysait, en septembre 2018, la sociologue Béatrice Barbusse, secrétaire générale de la Fédération française de handball.

Sa consoeur québécoise Lucie Thibault, spécialiste de la question à l’université d’Ottawa, observe un changement récent dans la capacité des sportifs à se mobiliser, favorisé par la révolution numérique : « Il est devenu plus facile pour eux de discuter ensemble des enjeux. Ces dernières années, les sportifs ont réalisé qu’ils avaient beaucoup plus de pouvoir qu’ils ne le pensaient mais aussi que leurs inquiétudes étaient partagées », notamment à la faveur des scandales de corruption, de harcèlement sexuel ou de dopage organisé.

C’est sur la messagerie WhatsApp que s’est organisée l’action des membres de la commission des athlètes de haut niveau du comité olympique français, explique le lutteur Mélonin Noumonvi : « On s’est dit qu’il fallait se mobiliser, faire un petit mot de soutien. Ce n’était pas une obligation. Mais comme on est des acteurs de notre fédération, voire des vitrines, on s’est dit que c’était aussi à nous de prendre position. »

La démarche de la vice-championne olympique de lancer du disque Mélina Robert-Michon a été plus personnelle, plus politique aussi. « Le détachement des CTS, c’est ce qui incarne l’ensemble du projet du gouvernement, qui menace le modèle sportif français. Cela ne changera pas le cours de ma carrière, mais je m’inquiète pour ceux qui viennent derrière. Là, il y a urgence. Il ne faut pas rater le coche et se dire quand cela deviendra concret : “Merde, notre système part en vrille”. »

« Aucun cadre ne perdra ni son métier, ni son statut »

L’heure n’est pas encore, pour autant, à la mobilisation générale à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP). « Beaucoup de sportifs ne sont pas assez informés et ne se rendent pas forcément compte du changement de visage que cela va impliquer pour le sport français », estime le joueur de badminton Ronan Labar. Les possibles conséquences n’apparaissent pas évidentes pour tous, puisque les conseillers techniques sportifs continueront à accompagner les futurs champions, sous la responsabilité des fédérations.

Pour l’heure, les mobilisations de sportifs n’ont pas fait ciller Roxana Maracineanu, très présente sur les plateaux de télévision pour rappeler qu’« aucun cadre ne perdra ni son métier, ni son statut ».

Mais les fédérations s’alarment de l’incertitude, à long terme, sur les moyens procurés par l’Etat pour financer ces postes, et à plus court terme de la diminution du corps des CTS : sans remplacement des départs programmés, il perdra environ 50 % de ses effectifs dans les dix ans à venir, selon l’inspection générale de la jeunesse et des sports.

Pour se faire entendre de l’Elysée, les fédérations olympiques, qui demandent un moratoire sur le détachement des CTS jusqu’à la fin de Jeux olympiques 2024 de Paris, projettent de boycotter la prochaine réunion avec le comité d’organisation des Jeux olympiques, le 24 mai.

La position des maîtres d’œuvre de Paris-2024, Bernard Lapasset et Tony Estanguet, sera scrutée dans les prochaines semaines. Le fils du premier est lui-même CTS dans le rugby, tandis que le second voit ses anciens amis kayakistes prendre une part active dans le mouvement de contestation.