Laura Flippes sous le maillot du Metz Handball, en 2015 / THOMAS SAMSON / AFP

« Il y a quinze ans, je regardais la Ligue des champions à la télévision sans m’imaginer une seconde que j’y participerai. C’est incroyable. Je ne m’attendais pas à ça. » Nul doute qu’Emmanuel Mayonnade va vite retrouver ses esprits : à 35 ans, il va devenir, ce week-end, le premier entraîneur à emmener une équipe féminine de handball en Final Four de la Ligue des champions. Samedi 11 mai, son Metz Handball s’apprête à vivre l’un des moments les plus intenses de son histoire, avec une demi-finale face aux Russes de Rostov-Don, que le club lorrain a battu deux fois cette saison. Toujours en course en championnat (en finale face à Nice) et en Coupe de France (finale contre Brest), les Dragonnes et leur coach s’autorisent à rêver d’un extraordinaire triplé.

Malgré son jeune âge, le natif d’Arcachon pourra s’appuyer sur une solide expérience dans le monde du handball. Il n’est pas si loin le temps où, du haut de ses 23 ans, il prenait en main les féminines de Mios-Biganos, son club de cœur. Celui fondé par son grand-père Roger, emblématique président décédé en janvier 2018, où son oncle Dominique était entraîneur, sa grand-mère Pierrette trésorière, et où ses parents, Gérard et Monique, ont aussi évolué. Une prise de fonction précoce corrélée à un tragique événement : le décès, en 2005, de son oncle, coach de l’équipe féminine, foudroyé par une crise cardiaque à l’âge de 52 ans. « J’aurais aimé ne pas avoir à connaître cette carrière-là », explique le petit-fils Mayonnade.

Fidèle à son club

Un an plus tard, le jeune homme, coach de la réserve, est nommé à la tête de l’équipe première, alors en première division. C’est le grand saut. Une expérience qui aurait pu tourner court : « Si la première année s’était mal passée en termes de résultats [Mios-Biganos finit 3e du championnat], je pense que j’aurais arrêté. Vingt-trois ans, sans expérience, dans le club de ma famille… J’adore entraîner, mais la pression était conséquente. »

Pourtant, Mayonnade a convaincu les sceptiques et a vite gravi les échelons. Avec Mios-Biganos, où il a passé « les plus belles années de [sa] vie », il réalise l’exploit de remporter une Coupe de France (2009) et deux Coupes Challenge (2011 et 2015).

Mais il y a quatre ans, tout s’écroule. Le petit club du bassin d’Arcachon, qui avait fusionné avec la commune girondine de Bègles deux ans plus tôt, est contraint de déposer le bilan. Le jeune coach se retrouve sur la touche. Une situation qui pousse le président messin Thierry Weizman à le solliciter, après le départ de Jérémy Roussel au milieu de la saison.

« Je l’avais déjà contacté en 2012, mais il avait refusé par fidélité à sa famille, sourit l’homme fort du Metz Handball. A Mios, il réussissait avec très peu de moyens. Là, c’était le moment ou jamais. Je pense que c’est un petit signe du destin. »

« Faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux »

Entre les deux hommes, l’alchimie fonctionne à merveille. Ensemble, ils remportent trois titres de champion de France de suite et une Coupe de France. « Pour moi, c’est plus qu’un entraîneur, c’est un ami. On a une complicité exceptionnelle, poursuit Thierry Weizman avec enthousiasme. Dans la vie, il y a deux Manu Mayonnade. Celui en dehors du terrain, détendu et bon vivant, et celui sur le terrain, exigeant, rigoureux, qui est dans sa bulle. C’est quelqu’un de très intelligent, incroyablement travailleur, et qui possède un vrai leadership. »

Le portrait est élogieux. L’intéressé s’en amuse, en rappelant la formule qui ouvre toutes ses réunions de présaison : « faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux ». « J’aime rigoler avec mon staff et les joueuses, mais je veux que tout le monde comprenne quand est-ce que l’on n’a plus le temps ni plus le droit de le faire ».

« Avec mon président, j’ai une belle relation, sincère, ajoute le technicien girondin. Mais une fois sur le terrain, on parle uniquement handball. On fait beaucoup d’efforts et la structure avance. »

Au point de devenir l’une des plus redoutables du continent. Un travail salué par la figure incontournable du club, Olivier Krumbholz, ex-joueur et entraîneur des féminines. « C’est un garçon intelligent, qui arrive à transmettre cette volonté de travail et de rigueur à ses joueuses, assure le sélectionneur des Bleues. Il est très investi dans ce qu’il fait. »

Après s’être longtemps interrogé sur son avenir et avoir refusé une offre lucrative du CSM Bucarest, Emmanuel Mayonnade a finalement annoncé qu’il rempilait dans l’est la saison prochaine. Mais avec une casquette supplémentaire : depuis février, il est aussi sélectionneur des Pays-Bas, avec en point de mire le Mondial japonais en fin d’année et les JO de Tokyo l’an prochain.

Un défi, pour le technicien comme pour son agenda : « C’est une expérience super enrichissante. Thierry [Weizman] sait que ma capacité de travail est conséquente et que je ne ferai souffrir ni Metz ni la sélection. Mais bon, je sais qu’à la prochaine déconvenue, on ne pourra s’empêcher de me le reprocher… », concède celui qui a été nommé quatre fois entraîneur de la saison en D1 féminine.

Emmanuel Mayonnade en février, sous les couleurs des Pays-Bas. / JEROEN JUMELET / AFP

Double casquette et risque de burn-out

Pour son président, le partage des tâches est « parfaitement complémentaire ». Mais d’autres s’en inquiètent, à l’image du directeur technique national, Philippe Bana : « Il va acquérir de l’expérience, mais, ce qui l’attend, c’est un peu schizophrénique. Une vie intense qui n’est pas facile à gérer. Imaginez en année olympique ! Cela représente 365 jours de travail, jour et nuit. C’est un métier éprouvant. »

Même son de cloche du côté d’Olivier Krumbholz, avec qui le jeune coach, désormais à la tête d’une nation concurrente, aime discuter tactique. « Sincèrement, moi, je ne le ferai pas, estime le sélectionneur double champion du monde. Désormais, il ne pourra plus se poser ni prendre du recul. Il va falloir qu’il soit très costaud pour ne pas aller vers le burn-out. »

Pour l’instant, Mayonnade ne pense ni au surmenage ni aux potentielles confrontations face aux Françaises. Au titre mondial avec les Bataves, il affirme sans détour qu’il préfère ramener la Ligue des champions en Moselle.

Cela passera par des prestations de très haut niveau de ses joueuses, « qui devront toutes être à 120 % », confirme Philippe Bana. « Pour moi, l’objectif est atteint », explique le président du Metz Handball. « Mais les joueuses et le coach ont faim, ils ne s’interdisent rien. » Pas même de rêver d’un titre européen.

Lohan Benaati