Est-il possible de contester la légalité de la livraison par la France de six embarcations rapides à la marine libyenne ? Le tribunal administratif de Paris s’est déclaré, vendredi 10 mai, incompétent pour en juger, alors qu’il avait été saisi en urgence par huit ONG, dont Amnesty International et Médecins sans frontières. Florence Parly, ministre des armées, avait annoncé en février son intention de doter les gardes-côtes libyens de ces équipements, de type Zodiac, à titre gracieux.

« La décision de procéder à une telle cession (…) n’est pas détachable de la conduite des relations extérieures de la France », a justifié le tribunal administratif dans son ordonnance. Celui-ci considère qu’il s’agit d’un acte politique de gouvernement, touchant aux rapports entre la France et un Etat étranger. Il n’est donc pas attaquable devant une juridiction administrative.

Dans son mémoire en défense, le représentant du ministère des armées avait appuyé sur ce raisonnement, expliquant que la décision d’équiper l’armée libyenne participait de « la sauvegarde et la promotion des intérêts stratégiques et diplomatiques de la France ». En l’espèce, arguait le ministère des armées, elle accompagne le « renforcement des capacités militaires » de la Libye « afin de contribuer à la lutte contre le terrorisme et les trafics de tous types ».

La lutte contre les flux migratoires

Les embarcations, dites « 1 200 Rafale », sont produites par l’entreprise Sillinger et équipent d’ordinaire les forces spéciales. Elles doivent être livrées dans les prochains mois pour faciliter le transfert et le débarquement de migrants interceptés en mer.

Depuis 2016, l’Union européenne (UE) et ses Etats membres ont fait du renforcement des gardes-côtes libyens un axe majeur de leur politique de lutte contre les flux migratoires qui empruntent la voie maritime de la Méditerranée centrale. En 2018, selon les informations communiquées au Monde par le porte-parole, avec l’opération militaire européenne Sophia – qui accompagne, finance et supervise cette politique –, près de la moitié des interceptions de migrants en mer ont été menées par la marine ou les gardes-côtes libyens. Quelque 355 gardes-côtes ont jusqu’à aujourd’hui été formés par l’UE, et l’Italie a déjà livré plusieurs navires patrouilleurs à Tripoli. La livraison d’équipement par Paris, dont le montant est évalué autour de 2,3 millions d’euros, est sans précédent.

« On s’alarme du fait qu’aucun contrôle ne puisse être exercé sur la légalité d’une telle décision, a réagi vendredi Lola Schulmann, chargée de plaidoyer à Amnesty International. Pourtant, en livrant ces bateaux, la France apporte son concours et peut se rendre complice d’actes attentatoires aux droits humains ».

Les ONG requérantes considèrent que la France va contribuer à empêcher les migrants de demander l’asile en Europe et à les retenir en Libye, pays dans lequel ils encourent de graves violations de leurs droits, telles le placement en détention, la torture ou encore le racket. Elles considèrent aussi que la livraison des embarcations viole l’embargo sur le matériel militaire, qui résulte d’une résolution de l’ONU de 2011 et d’une décision du Conseil européen de 2015. Elles réfléchissent à un éventuel recours devant le Conseil d’Etat.