C’est un sacré revers pour le ministère de la justice. Saisi par un surveillant pénitentiaire d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a censuré vendredi 10 mai l’article de loi qui a permis de sanctionner les surveillants grévistes de janvier 2018. Cette stratégie du bâton avait été utilisée de façon systématique par le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin, avec l’aval de la garde des sceaux, Nicole Belloubet, pour empêcher toute velléité de poursuite du mouvement social.

Le statut des surveillants de prison les prive depuis 1958 du droit de grève en échange de conditions de rémunération plus avantageuses. Mais le mouvement de janvier 2018, déclenché par l’agression d’un surveillant à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), a fait évoluer les pratiques. Le mouvement a débuté classiquement par des actions de blocages à l’entrée des établissements pénitentiaires par les agents de repos ou des retards de prise de service. Des « dépôts de clefs », autrement dit une grève de fait, ont ensuite eu lieu dans un nombre croissant de prisons.

La police et la gendarmerie ont alors dû suppléer les surveillants dans certains établissements où seuls deux ou trois officiers pénitentiaires restaient en service. Une première depuis vingt-cinq ans. La situation risquait de dégénérer avec des mutineries et de graves problèmes d’ordre public. Aussi, dès l’accord du 25 janvier 2018 avec le syndicat majoritaire, l’UFAP-UNSA, la chancellerie a fait savoir que les sanctions tomberaient pour les grévistes au-delà du 27 janvier. Les syndicats FO et CGT plaidaient pour la poursuite du mouvement. Dans certains établissements, 80 % des agents ont eu un arrêt maladie le même jour…

« Arrêts maladies massifs »

L’administration pénitentiaire a infligé des sanctions à 1 983 surveillants. Des exclusions temporaires de dix jours avec retenue sur salaire et une partie avec sursis en forme d’épée de Damoclès pour la suite. Ces sanctions ont été prises sur la foi de l’article 3 de l’ordonnance du 6 août 1958 selon laquelle « toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée (…) est interdit ». « Ces faits, lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires », précise le texte. Ces arrêts maladies massifs ont ainsi été considérés comme « une cessation concertée de service ».

C’est le fait que cette procédure se déroule « en dehors des garanties disciplinaires » qui était contesté devant le Conseil constitutionnel. Certains surveillants ont reçu six mois après le mouvement la signification d’une exclusion temporaire sans avoir été informés d’une procédure les concernant. « Peut-on sanctionner un fonctionnaire sans qu’aucune garantie des droits de la défense ne soit respectée, ni même aucun principe du débat contradictoire ? », a interrogé Vincent Derer, l’avocat du surveillant, devant le Conseil constitutionnel lors de l’audience du 16 avril. « Non », a répondu le collège présidé par Laurent Fabius.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « implique qu’aucune sanction ayant le caractère d’une punition ne puisse être infligée à une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés ». Cette disposition est donc censurée avec effet immédiat.

L’administration pénitentiaire perd ainsi l’arme de dissuasion qu’elle utilise dans le rapport de forces difficile avec les organisations syndicales. En mars 2019, elle a encore prononcé une cinquantaine de sanctions disciplinaires à la suite du mouvement qui a éclaté après l’agression terroriste contre deux surveillants de la prison de Condé-sur-Sarthe (Orne). La censure constitutionnelle s’applique à toutes les sanctions non jugées définitivement à ce jour.