Sur les 16 000 places du stade Marcel-Deflandre à La Rochelle, 13 000 correspondent à des abonnements annuels et seules 3 000 se vendent à l’unité. / FRANCK MOREAU / AFP

A La Rochelle, facile de prévoir les marées humaines. Elles montent à chaque fois que le club de rugby local joue à domicile, et même parfois en son absence. Vendredi 10 mai, le public remplira de nouveau le stade Marcel-Deflandre pour suivre sur écran géant la retransmission de sa première finale du Challenge européen, la Coupe d’Europe « bis » : un match franco-français dans le Nord-Est de l’Angleterre, à Newcastle, entre Rochelais et Clermontois (à partir de 20 h 45).

« On donnera tout pour récompenser le club et nos supporteurs, le club le mérite, nos supporteurs aussi », rappelait Romain Sazy en conférence d’avant-match. Le troisième ligne connaît bien le microclimat de la préfecture de Charente-Maritime. « J’ai déjà vu quelques voisins qui ressortaient les drapeaux. Plutôt bon signe. Il y en a même qui m’en ont accroché un sur le scooter, avec marqué est’’On est en finale’’».

En championnat de France, le club du Stade rochelais peut déjà se prévaloir du meilleur taux de remplissage : guichets fermés (16 000 places) pour chaque match « à la maison » depuis 2016, soit 46 rencontres d’affilée. « Ici, on n’a qu’une équipe de haut niveau », commence par expliquer Laurent Leplomb, responsable de l’une des trois associations officielles de supporteurs, Agir avec le XV Rochelais.

Les basketteurs du coin jouent modestement en troisième division nationale ; les footballeurs, au sixième échelon. Alors, forcément, les occasions d’avoir à fêter quelque chose sur le Vieux-Port restent circonscrites. L’une des dernières liesses remonte à 2014 : l’année où le Stade rochelais a remporté le championnat de Pro D2 et retrouvé l’élite du rugby français.

En arrière-plan, le public du stade Marcel-Deflandre lors de La Rochelle-Toulon, le 4 mai. / FRANCK MOREAU / AFP

Tribune des dockers

Depuis, le club continue de se structurer. « On a transformé la capacité du stade pour la faire passer de 12 000 places en 2010 à 16 000 aujourd’hui », rappelle Pierre Venayre, directeur général et ancien joueur du club. La jauge devrait désormais en rester à ce niveau, à la fois pour éviter le risque de gradins vides, mais aussi pour des raisons topographiques. « Le stade étant enclavé en centre-ville, le potentiel d’agrandissement est assez limité. »

Sur les 16 000 places, là aussi, le détail est impressionnant : 13 000 correspondent à des abonnements annuels et seules 3 000 se vendent à l’unité. « On est obligé de plafonner le nombre d’abonnements dans le stade pour qu’il reste accessible à d’autres spectateurs ». Le « DG » ajoute que 2 000 personnes se trouvent sur liste d’attente pour récupérer une carte d’abonné.

Tout cela fait beaucoup de chalands pour Jean-Pierre Elissalde. A 65 ans, l’ancien demi de mêlée et entraîneur du club tient aujourd’hui la brasserie « Aux vieux crampons ». Juste à côté du stade, près de la maison familiale où il a vu le jour. « Mon vieux père disait : à Bayonne, on naît rugbyman, à La Rochelle, on le devient. » Façon de dire que le Stade rochelais s’est « construit dans la difficulté. » Au beau milieu d’un « désert rugbystique », malgré la présence de Soyaux-Angoulême en deuxième division, dans le département voisin.

Jean-Pierre Elissalde insiste sur l’histoire du Stade rochelais, qu’il connaît bien pour y avoir joué, après son père, Arnaud, et avant son fils, Jean-Baptiste, actuel entraîneur adjoint du XV de France. « Quand je jouais, des dockers, des pêcheurs, des gens humbles venaient au stade et se retrouvaient dans l’identité du club, dans le travail, dans le combat. Comme Clermont, La Rochelle fait partie de ces clubs populaires. »

La tribune dite des dockers a longtemps rappelé ce lien avec la population. Elle s’est appelée ainsi de 1972 à 2009, jusqu’à sa démolition et à la construction de la tribune Port-Neuf. Le nom de l’enceinte reste cependant inchangé : il rend toujours hommage à Marcel Deflandre, un ancien dirigeant du club, et surtout un résistant, fusillé pendant la seconde guerre mondiale.

Le pilier rochelais Dany Priso, le 4 mai, après un match contre Toulon. / FRANCK MOREAU / AFP

« Grand délire » attendu sur le Vieux-Port

Aujourd’hui, le public a parfois un côté « un peu plus VIP », concède Jean-Pierre Elissalde. De fait, 3 000 des 13 000 abonnements proposent des « hospitalités », comme on dit désormais dans le rugby professionnel pour désigner des prestations donnant accès à des salons du stade, voire à des loges.

Au cumul de la billetterie classique, de la buvette et surtout de ces hospitalités, Pierre Venayre estime que les recettes de matchs à domicile représentent plus de la moitié du budget annuel du club, qu’il chiffre « entre 26 et 27 millions d’euros ». Une manne importante, d’autant que le Stade rochelais « n’est pas un club de propriétaire, il appartient à de nombreux actionnaires ancrés sur le territoire, sur la région » - Vincent Merling, président depuis trois décennies, n’en est actionnaire qu’à hauteur de 5 %.

L’affluence actuelle dépend aussi des succès sportifs du moment. « Quand ça va moins bien, le public se renfrogne, ça soutient moins », reconnaît Laurent Leplomb, du groupe de supporteurs Agir avec le XV Rochelais. Vendredi soir, celui-ci assistera au match dans le centre-ville de La Rochelle, près du Vieux-Port où il promet « un grand délire » en cas de victoire.