Editorial du « Monde ». Le groupe ADP n’est pas près de quitter le giron de l’Etat. L’opération de privatisation de ce groupe qui gère les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle, d’Orly et du Bourget fait l’objet, depuis son lancement, d’une vaste fronde, aussi bien dans l’opinion qu’au sein de l’opposition parlementaire, qui souhaite donner à l’entreprise un caractère de « service public national ». L’alliance hétéroclite de 248 élus de gauche comme de droite, qui avait déposé une proposition de loi référendaire le 10 avril, a reçu le feu vert du Conseil constitutionnel, jeudi 9 mai, ouvrant la voie à l’organisation du premier référendum d’initiative partagée (RIP).

Cette validation a pour effet immédiat d’hypothéquer sérieusement le processus de privatisation et d’infliger un échec cinglant au gouvernement. Mais, au-delà du cas particulier d’ADP, l’initiative ouvre une brèche susceptible de fragiliser le système de représentation politique.

Jusqu’à présent, la mise en œuvre du RIP, inscrit dans la Constitution en 2008, paraissait suffisamment exigeante pour que la procédure ne soit utilisée que dans des circonstances exceptionnelles. Déclenchée par au moins 185 parlementaires, elle doit ensuite recueillir le soutien de 10 % du corps électoral, soit à ce jour 4,7 millions de personnes. Un chiffre élevé, mais pas impossible à atteindre dans le contexte actuel.

La question-clé, pour le Conseil constitutionnel, consistait à se prononcer sur l’article 11 de la Loi fondamentale, qui précise qu’un RIP ne peut porter sur un sujet abordé dans une loi promulguée depuis moins d’un an. Considérant que le projet de privatisation d’ADP, inclus dans la loi Pacte, est toujours en attente de promulgation, les magistrats ont décidé de valider le processus. Cette décision peut avoir de lourdes conséquences sur le plan institutionnel.

« Une situation dangereuse »

La France a un besoin évident de renouveau démocratique et d’une plus grande participation directe des Français aux choix politiques, notamment sur le plan local. Le mouvement des « gilets jaunes » en a souligné l’urgence. Toutefois, il y a un risque très réel que les initiatives de démocratie participative, telles que le RIP, n’affaiblissent la légitimité des parlementaires et celle du système représentatif.

Le gouvernement s’est immédiatement inquiété de la lecture stricte du Conseil constitutionnel, qui fera jurisprudence. « Si, à chaque fois que la majorité vote une loi, 185 parlementaires peuvent retarder son application de plus de neuf mois, cela créerait une situation dangereuse pour la conduite de l’action publique », s’est ému Matignon. L’argument est recevable sur le fond, au risque de déposséder les élus d’une partie de leur pouvoir représentatif, qui pourrait engendrer une paralysie de l’action politique par des alliances de circonstance.

Certes, les conditions qui ont conduit à déposer cette proposition de loi référendaire restent exceptionnelles. La coalition des oppositions sur la privatisation d’ADP a su rebondir sur le mouvement social des « gilets jaunes » et exploiter le précédent calamiteux de la privatisation des sociétés d’autoroutes. Ce contexte a peu de chance de se reproduire. L’initiative, toutefois, n’est pas sans risque. S’il ne veut pas se faire piéger, Emmanuel Macron devra y songer au moment de la mise en œuvre de sa proposition de faire sauter deux verrous à la procédure du RIP, en abaissant son seuil de déclenchement à un million d’électeurs, tout en supprimant l’étape préalable de soutien par 185 élus.