Philippe Martinez à Paris, le 1er-Mai / BENOIT TESSIER / REUTERS

C’est par un long discours qui se voulait offensif que Philippe Martinez, secrétaire général sortant de la CGT, a ouvert, lundi 13 mai, le 52e congrès de la centrale qui se tient à Dijon jusqu’à vendredi. Cherchant à galvaniser ses troupes, celui qui est le seul à briguer sa succession a multiplié, devant 938 délégués, les attaques contre Emmanuel Macron et son gouvernement. A quelques jours des élections européennes le 26 mai, M. Martinez a fustigé un chef de l’Etat qui « a choisi de suivre la route de l’extrême droite en évoquant l’art d’être français et en proposant de renforcer les contrôles aux portes de l’Europe ». Pour lui, M. Macron est « le président le plus mal élu de la Ve République », celui des « ultrariches qui a supprimé l’impôt sur la fortune pour ses amis » et le « dieu de l’enfumage » quand il promet de maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans.

L’actuel numéro un de la CGT n’a pas oublié de revenir sur la manifestation du 1er-Mai, de laquelle il a dû être temporairement exfiltré, dénonçant de « violentes charges policières » à l’encontre de son syndicat. « L’objectif du gouvernement était clair : qu’il n’y ait pas de défilé syndical », a-t-il assuré. M. Martinez a de nouveau réclamé au ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, une « enquête publique » afin de savoir « qui a donné ces ordres ». « Si c’est lui, il n’a qu’à quitter son poste et partir ! », a-t-il lancé. Cette exigence, longuement applaudie, ne figurait pas dans le texte initial de son discours.

Analyse critique

L’ancien métallo a consacré une bonne part de son intervention à faire une analyse critique de la CGT qui doit être « en phase avec les défis de son temps et ne doit pas se refermer sur elle-même ». Alors que la centrale est en difficulté depuis plusieurs années – un phénomène accentué par le mouvement des « gilets jaunes » –, M. Martinez a jugé « normal et logique que des débats, des interrogations, voire des doutes existent parmi les citoyens mais aussi parmi les syndiqués de notre organisation ». Alors qu’il est à la tête de son syndicat depuis quatre ans, il a fait allusion à plusieurs précédents congrès qui évoquaient déjà l’adaptation nécessaire des structures cégétistes et reconnu que « des résolutions importantes (…) tardent à se mettre en œuvre ou ne se mettent jamais en œuvre ». « Cela a des conséquences graves pour notre syndicalisme et je pense qu’il est plus que temps, voire urgent, de réagir collectivement », a-t-il jugé.

Répondant à une minorité de son opposition qui réclame un retour à la Fédération syndicale mondiale – l’internationale syndicale communiste que la CGT a quittée en 1995 –, il a justifié l’appartenance à la Confédération européenne des syndicats et à la Confédération syndicale internationale : « Nous sommes à l’aise dans nos affiliations européennes et internationales (…). Nous ne sommes ni complaisants ni suffisants. Nous savons être critiques lorsque nous pensons que la stratégie choisie est trop timorée ou qu’elle se fourvoie. » A ceux qui le jugent trop mou, il a lancé :

« On peut crier haut et fort grève générale mais posons-nous d’abord et surtout la question de l’absence dans les actions professionnelles ou interprofessionnelles d’une partie importante de nos syndiqués. »

Récusant l’image d’un « syndicalisme un peu trop plan-plan », M. Martinez a martelé que la « contestation ne peut se conjuguer qu’avec propositions ». Smic à 1 800 euros, semaine de 32 heures, retraite à 60 ans, « sécurité sociale professionnelle », « services publics partout pour tous »… « Nous ne lâcherons rien », a-t-il affirmé à plusieurs reprises. Et d’appeler, sans plus de détails, à une « mobilisation générale s’inscrivant dans la durée ».

Unité syndicale, un « enjeu majeur »

Sur la stratégie de la direction sortante, l’actuel secrétaire général s’est félicité des nombreuses luttes impulsées par son syndicat tout en les jugeant « insuffisantes au regard des attaques et en nombre de travailleurs et travailleuses impliqués pour inverser les choix gouvernementaux et patronaux ». « La confédération n’a peut-être parfois pas été assez réactive », a-t-il estimé, malgré la multiplication de journées de mobilisation interprofessionnelles qui se sont soldées par des échecs. Quant à ceux qui critiquent cette ligne, il les a invités à « donner du sens à la notion de convergences au sein même de la CGT ».

Plus surprenant, abordant la question de l’unité syndicale qualifiée d’« enjeu majeur », M. Martinez, qui n’a pas fait de cette préoccupation une priorité de son dernier mandat, a semblé infléchir son discours. « Nous refusons d’être une avant-garde, même éclairée, une sorte d’élite syndicale qui expliquerait aux plus nombreux ce qui est bon ou pas pour eux », a-t-il souligné, ajoutant que « les conquêtes sociales ont toujours été obtenues dans un cadre unitaire ».

« Nous avons des positions diamétralement opposées sur bon nombre de sujets, principalement avec la CFDT (…). Avec cette dernière, le fossé se creuse depuis des années autour de notre conception même du syndicalisme », a ajouté le numéro un de la CGT. Pour autant, « ce n’est pas en cultivant ses oppositions, ni en se traitant de noms d’oiseaux ou en se sifflant que nous persuaderons de cette nécessité d’unité, que nous gagnerons la confiance de ceux qui veulent agir ». Ces mots n’ont pas suscité de réactions mais n’ont pas empêché les délégués de copieusement siffler par la suite le nom du représentant de la CFDT. Au terme d’une heure quarante de discours, M. Martinez n’a pas eu le droit à la traditionnelle standing ovation, même s’il a été applaudi à de nombreuses reprises.