Des militants du mouvement Extinction Rebellion et de l’ONG Planète Amazone se sont mobilisés, mardi 14 mai à La Défense, contre les projets de grands barrages, à l’occasion de l’ouverture du Congrès mondial de l’hydroélectricité. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

« Nous ne dormons plus la nuit. L’Amazonie est malade. » Le ton est solennel. Le visage, grave. Alessandra Korap, leader de la tribu des Munduruku au Brésil, a traversé l’Atlantique pour rejoindre le « sommet parallèle » sur l’hydroélectricité, qui avait lieu lundi 13 mai à Paris. Elle est venue débattre, avec d’autres représentants de la société civile, des conséquences sociales et environnementales des grands barrages hydroélectriques, alors que le Congrès mondial de l’hydroélectricité, qui rassemble les industriels du secteur, s’est ouvert mardi pour trois jours à La Défense.

« On veut porter la voix de la société civile qui ne sera pas entendue lors du Congrès mondial. Là-bas, l’objectif sera de développer l’hydroélectricité, mais les grands barrages sont une fausse solution », affirme Gert-Peter Bruch, le président de Planète Amazone, l’ONG de défense des peuples amazoniens à l’origine de cette contre-manifestation. Dans une déclaration commune publiée lundi 13 mai, 250 organisations de la société civile dénoncent la tenue du Congrès mondial qui vise à « présenter les grands barrages hydroélectriques comme une source d’énergie propre », « dans le but d’obtenir des avantages financiers par le biais de mécanismes tels que les obligations climats et le Fonds vert pour le climat », alors que les grands barrages « échouent à remplir les objectifs de l’accord de Paris sur le climat ».

« Nous vivons dans la forêt et pour nous, notre supermarché, c’est ce fleuve, c’est cette forêt », explique le cacique Arnaldo Kaba

« Notre fleuve, c’est notre Mère, il parle avec la nature et avec les animaux. Nous sommes extrêmement préoccupés car nous vivons dans la forêt et pour nous, notre supermarché, c’est ce fleuve, c’est cette forêt », explique le cacique Arnaldo Kaba. Sa tribu, les Munduruku, se bat depuis des années contre une série de projets de barrages sur la rivière Tapajos, au Brésil. « On détruit le mode de vie des peuples autochtones en construisant des barrages qui irriguent des champs de soja et de maïs, qui contribuent eux-même à la déforestation, poursuit Alessandra Korap. Mais il n’existe pas de centrale hydroélectrique durable. »

« Aucune compensation financière »

Pour les Munduruku, l’année 2019 a déjà apporté son lot de mauvaises nouvelles. Avec l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, les peuples indigènes ont perdu leur droit de démarcation de leur territoire. Le nouveau président brésilien entend aussi relancer la construction de barrages sur l’Amazone, au détriment des populations locales. « Le nouveau président ne respecte rien, il ne respecte pas nos territoires. Mais il ne pourra pas nous tuer », ajoute Alessandra Korap, qui se définit comme une « guerrière ».

Pour les ONG présentes au sommet parallèle, le développement des grands barrages est contradictoire avec les objectifs de développement durable (ODD) adoptés par l’ONU en septembre 2015. « Le premier de ces objectifs, c’est l’élimination de la pauvreté. Mais les barrages ont déplacé entre 40 et 80 millions de personnes dans le monde, sans aucune compensation financière », précise Thilo Papacek, de l’ONG allemande GegenStrömung (Contre-Courant).

En termes de pollution, l’hydroélectricité serait moins verte qu’elle n’y paraît

En termes de pollution, l’hydroélectricité serait moins verte qu’elle n’y paraît. Une étude de 2016 publiée par la revue BioScience de l’Institut américain des sciences biologiques montre que l’impact sur le réchauffement climatique des barrages hydroélectriques avait été largement sous-estimé. Selon cette étude, la matière organique bloquée par les barrages dans l’eau serait à l’origine d’un milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. Quant aux émissions de méthane, dont l’impact sur le réchauffement climatique est encore plus fort que celui du CO2 , elles seraient 25 % plus importantes que ce qui était jusque-là évalué.

L’hydroélectricité, troisième source de production d’électricité

Selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie, l’hydroélectricité représente 17 % de la production d’électricité mondiale, derrière le charbon (39 %) et le gaz (23 %). « C’est la première source mondiale d’énergie renouvelable, rappelle Jean-Charles Galland, le président de la commission hydroélectricité du Syndicat des énergies renouvelables. Bien sûr, il y a des impacts négatifs, notamment en termes de déplacement des populations, mais c’est pris en compte et évalué. Dans tous les grands projets de barrage, on a des grands bailleurs tels que la Banque mondiale qui sont particulièrement sensibilisés sur ces questions. »

Selon lui, l’hydroélectricité présente malgré tout de réelles opportunités énergétiques :

« Aujourd’hui, on exploite seulement un tiers du potentiel hydroélectrique mondial. C’est une source d’énergie qui a une vraie valeur, elle est commandable et stockable, elle constitue un vrai complément aux énergies renouvelables intermittentes comme le solaire ou l’éolien », affirme-t-il.

La revue scientifique Nature révélait il y a quelques jours que seulement 37 % des grands cours d’eau du monde n’étaient pas entravés par des barrages. Pour Jeff Opperman, du Fonds mondial pour la nature (WWF), le développement d’autres énergies renouvelables est primordial. « Ce serait une grande tragédie si tous les avantages de la révolution des énergies renouvelables arrivaient trop tard pour sauvegarder les grands fleuves du monde », estime-t-il.