Avant un meeting du RN pour les élections européennes, à Strasbourg, le 15 avril. / Elyxandro CEGARRA / Elyxandro CEGARRA / Panoramic

Editorial du « Monde ». Servi par le mouvement des « gilets jaunes », qui a, pendant six mois, alimenté une forte contestation contre la politique d’Emmanuel Macron, le Rassemblement national (RN) espère sortir gagnant du scrutin européen du 26 mai. Dans les sondages, la liste conduite par Jordan Bardella est actuellement au coude-à-coude avec celle de La République en marche et ses alliés. La campagne de terrain, lancée dès janvier, se double de vigoureux appels à transformer l’élection en un « référendum anti-Macron » qui serait susceptible de forcer le président de la République à se démettre.

Plus nouveau, le parti d’extrême droite joue également sur la corde européenne. Il met en avant la vague populiste qui touche plusieurs pays de l’Union européenne (UE) pour assurer être en mesure, avec ses alliés, de « réformer en profondeur » le fonctionnement communautaire. Après avoir été le théâtre des affaires politico-financières du FN, le Parlement européen deviendrait la rampe de lancement de « l’Europe des peuples ». Cette thématique du vote utile est nouvelle dans une formation politique qui a longtemps prospéré sur l’éloge de la nation et la critique radicale des institutions européennes.

Prendre Marine Le Pen au mot

La mue, récente, s’est accompagnée d’un spectaculaire renoncement sur l’euro : depuis quelques mois, la présidente du parti, Marine Le Pen, ne prône plus la sortie de la monnaie unique, elle a rejeté le « Frexit » et ne se place plus en marge de la construction européenne mais en son cœur, avec l’ambition de la faire évoluer. Il faut donc la prendre au mot et opérer un retour en arrière, partir de ce 25 mai 2014 où son parti est arrivé en tête des élections européennes, envoyant à Strasbourg 24 élus, dont elle-même.

Y siège-t-elle encore ? Non. Ses troupes sont-elles restées soudées ? Non, neuf élus ont quitté le groupe Europe des nations et des libertés (ENL),dans lequel sont inscrits les lepénistes à la suite de différends politiques ou financiers. Les restants ont-ils été assidus ? Encore non. Productifs ? Toujours non. En cinq ans, ils n’ont pratiquement voté aucune directive, y compris dans les deux domaines aujourd’hui mis en avant par Marine Le Pen : l’écologie et l’immigration. Sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la neutralité carbone, les énergies renouvelables ou la diminution de la pollution automobile, leur vote a été quasi systématiquement négatif.

Plus surprenant, les élus RN ont également refusé d’approuver toutes les dispositions visant à renforcer la coopération en matière de lutte antiterroriste, comme la création du fichier des passagers aériens dit « PNR » (passenger name record). La justification est, à chaque fois, la même : l’UE n’a pas à se substituer aux nations. Soit, mais alors, à quoi bon investir son Parlement ?

Marine Le Pen rétorque que tout changera au cours de la prochaine législature grâce aux nouveaux alliés qu’elle tente, non sans mal, de séduire. Elle invoque son rapprochement avec l’Italien Matteo Salvini, minimise le refus du Hongrois Viktor Orban de pactiser avec elle, tait l’ostracisme dont elle est l’objet de la part des extrêmes droites suédoise et polonaise, qui lui reprochent sa trop grande proximité avec la Russie de Vladimir Poutine.

A l’entendre, elle et ses amis seront suffisamment forts pour impulser des textes et construire une Europe nouvelle. Les dernières projections leur accordent pourtant moins de 200 sièges sur un total de 751. Soit une minorité de blocage qui leur permettra juste de prolonger le travail de sape. En Europe, le RN ne construit rien.