Sepp Blatter et Michel Platini, le 29 mai 2015. / PATRICK B. KRAEMER / AP

Michel Platini a été entendu plus de trois heures comme plaignant, mardi 14 mai, à Paris par les officiers de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), a appris Le Monde. L’audition de l’ex-président suspendu de l’Union des associations européennes de football (UEFA) découle de sa plainte contre X pour « dénonciation calomnieuse » et « association de malfaiteurs en vue de commettre le délit de dénonciation calomnieuse ».

Désireux de déterminer le rôle d’anciens dirigeants de la Fédération internationale de football (FIFA) dans sa chute, l’ancien numéro 10 des Bleus avait déposé plainte, le 14 septembre 2018, auprès du procureur de la République adjoint près du tribunal de grande instance de Paris.

M. Platini, dont la suspension par les instances disciplinaires de la FIFA de quatre ans « pour violation du code d’éthique » prononcée en 2015 prendra fin en octobre, veut faire la lumière sur les conditions dans lesquelles l’information relative au paiement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) que lui a fait, en 2011, l’ex-patron de la FIFA, Sepp Blatter, a été transmise au ministère public de la Confédération helvétique (MPC). Cette somme correspondait à des travaux réalisés lorsqu’il officiait comme conseiller du Suisse entre 1999 et 2002.

L’ouverture de l’enquête du MPC, le 24 septembre 2015, fait, selon toute vraisemblance, suite à une fuite interne. Contrairement à M. Blatter, qui fait l’objet d’une procédure pénale, M. Platini ­a été entendu comme témoin ­assisté. En mai 2018, il a reçu une lettre du parquet helvétique lui confirmant qu’il « ne sera pas incriminé dans le cadre de la présente procédure.»

Une candidature sabordée?

La justice française a, elle, ouvert une enquête préliminaire afin de déterminer les rôles et niveaux de responsabilités de trois anciens dirigeants de la FIFA, visés par le camp Platini : Sepp Blatter, Domenico Scala, ex-président du comité d’audit et de conformité et du comité électoral et Marco Villiger, ex-directeur juridique.

« Cette audition a été l’occasion pour M. Platini de décrire la mécanique du complot et le rôle de ses principaux acteurs, véritable association de malfaiteurs - c’est d’ailleurs le délit dénoncé - en vue de commettre le délit de dénonciation calmonieuse. Son audition est indiscutablement le coup d’envoi d’une enquête qui devrait conduire à de nombreuses auditions dans les prochains mois », déclare William Bourdon, l’avocat de l’ex-patron de l’UEFA. Radié par le comité d’éthique de la Fédération, M. Platini n’avait pu briguer la présidence de la FIFA en février 2016.

M. Scala - silencieux depuis son départ de la FIFA, en mai 2016 - est suspecté par les défenseurs du Français d’avoir eu un rôle actif dans sa chute. Le 20 octobre 2015, lors d’une réunion du comité exécutif (gouvernement) de la FIFA, le dirigeant a présenté un tableau des sanctions pénales et éthiques susceptibles de frapper M. Platini. Son intervention est consignée dans un compte rendu que Le Monde s’est procuré.

Les avocats de l’ex-capitaine des Bleus, 63 ans, reprochent également à Scala d’avoir mis en place un plan de communication pour enterrer les ambitions de leur client : ils pointent un entretien accordé au Financial Times, la veille de cette réunion, dans lequel M. Scala accuse M. Platini de « falsification des comptes ». Andreas Bantel, ex-porte-parole de M. Scala et de la chambre d’instruction du comité d’éthique, fait aussi, depuis 2016, l’objet d’une plainte pénale de M. Platini, devant le parquet de Zurich, pour « diffamation » ou « subsidiairement calomnie ».

18 terabytes de données saisies par le MPC

Le patronyme de Marco Villiger, poussé vers la sortie en août 2018 par le nouveau président de la FIFA, Gianni Infantino, renvoie à la fuite auprès du MPC, alors en quête d’informateurs puisqu’il disposait d’une masse de données colossale - quelques 18 térabytes - saisies à la FIFA.

Dans une enquête parue en 2016, la chaîne sportive américaine ESPN racontait la rencontre, incognito, entre un « Blatter insider » et un haut responsable du parquet suisse, dans un parc zurichois. Cette « taupe » a révélé le paiement fait à M. Platini et où en trouver la trace. Cette dénonciation a entraîné une perquisition du siège de la Fédération, le 25 septembre 2015, à Zurich. Ce jour-là, les officiers fédéraux ont trouvé le récépissé du versement dans le bureau de M. Blatter.

Différentes sources, internes comme externes à la FIFA, interrogées par Le Monde, soupçonnent M. Villiger, ex « avocat » et gardien de tous les secrets de M. Blatter, d’être cette gorge profonde. « Le comité d’éthique est parfaitement au courant que c’est dans l’intérêt de tout le monde que l’enquête [sur M. Platini] soit menée aussi rapidement que possible », avait déclaré M. Villiger, qui tenait le secrétariat dudit comité et avait accès aux avancées de la procédure, le 20 octobre 2015, lors de la réunion du comité exécutif de la FIFA.

La FIFA a toujours assuré que M. Villiger n’était pas au courant du paiement fait à M. Platini avant la perquisition. Cette version a été contestée devant le Tribunal arbitral du sport par Markus Kattner, ex-directeur financier de la FIFA. « Villiger savait tout, c’était la ligne directe pour la justice de par sa fonction », souffle un ancien collègue qui requiert l’anonymat. « Ces soupçons sont faux », avait répondu M. Villiger à L’Equipe, en janvier 2018, sans développer.

Les liens étroits entre M. Villiger et Olivier Thormann, procureur chargé des affaires économiques et du « FIFAgate » au MPC, ont, depuis, défrayé la chronique. En novembre 2018, M. Thormann a été visé par une enquête interne, selon la Radio Télévision Suisse, pour « violation de secret de fonction, acceptation d’avantages et corruption dans le cadre des contacts qu’il a eus avec un ancien collaborateur de la FIFA. » Blanchi, le procureur a été toutefois contraint de quitter son poste en raison de son lien privilégié avec M. Villiger.

Dans son livre Ma vérité (éditions Héloïse d’Ormesson, 240 pages), paru en mai 2018, M. Blatter accuse M. Villiger d’avoir révélé ce paiement à la justice. « Il avait les relations directes avec le parquet », confiait-il au Monde à la même époque.

Blatter est disposé à être entendu par la justice française

Plusieurs sources soupçonnent le Suisse, suspendu six ans, d’avoir été « l’arroseur arrosé », en ayant commandité ou encouragé la fuite. « Jamais Platini » : tel était le mot d’ordre que M. Blatter, 83 ans, avait fait passer aux membres de sa direction à l’été 2015. « Il était prêt à tout pour l’éliminer du système, il détestait la star, le joueur qu’il était », assure un ancien proche.

« Il faut tuer Michel ! », avait aussi tempêté le patriarche, en juin 2015, lors d’un déjeuner au restaurant Sonnenberg de Zurich, en compagnie de son ex-secrétaire général Jérôme Valcke, et de son neveu, Philippe Blatter. Ce jour-là, le Suisse - à l’époque enclin à montrer à son entourage, dans son bureau, la facture du paiement et la lettre de Platini demandant son reliquat de salaire, en 2011 - a mentionné l’existence de ce virement. Sepp Blatter a suggéré qu’il serait un moyen de couler la candidature à venir du Français. Il a également poussé, en vain, son lieutenant Valcke à briguer la présidence de la FIFA pour lui barrer la route.

« Je trouve très bien que M. Platini fasse la lumière là-dedans car il y a eu dénonciation. Lui et moi sommes sur le même bateau », a répondu en octobre 2018, au Monde M. Blatter. « Je suis fou parfois, comme peut l’être M. Platini, mais pas assez imbécile pour me dénoncer moi-même.» Aujourd’hui, il se dit disposé à répondre à la justice française.