« Castaner, le Goebbels de Macron. Médias collabos » : voilà la pancarte qui a valu à Isabelle P. (toutes les personnes interrogées ont requis l’anonymat), enseignante à Paris « et » gilet jaune, tient-elle à préciser, d’être placée en garde à vue samedi 11 mai après-midi, au commissariat du 12e arrondissement (d’où elle est ressortie le soir même), et d’être reconvoquée dans ces mêmes locaux lundi 13 mai au matin. Elle en est sortie peu après 11 heures, sous les applaudissements d’une cinquantaine d’enseignants venus de toute l’Ile-de-France lui apporter leur soutien.

« J’aurai peut-être une amende, rien de plus », souffle cette professeure de SVT au sein de la cité scolaire Paul-Valéry (12e arrondissement), par ailleurs responsable syndicale FO. Sa garde à vue pour « injure publique envers le président de la République » n’a pas tenu longtemps. Son avocat, Raphaël Kempf, est vite parvenu à en « démontrer l’illégalité », explique-t-elle. Une source judiciaire « confirme l’irrégularité du placement en garde à vue », ajoutant que « la procédure a été transmise au parquet pour appréciation ».

D’un point de vue juridique, l’injure publique est une infraction prévue par la loi de 1881 sur la presse qui ne peut être punie que par une peine d’amende ; or, selon le code de procédure pénale, une personne ne peut être placée en garde à vue que si on lui reproche une infraction passible d’emprisonnement. « Les policiers, l’officier de police judiciaire ayant notifié à ma cliente son placement en garde à vue l’ignoraient-ils ?, interroge Me Kempf. C’est selon moi très révélateur des pratiques depuis le début du mouvement des gilets jaunes ».

« Deux heures de manif bon enfant »

Isabelle se dit « soulagée ». Elle n’aura finalement passé « que » quelques heures en garde-à-vue. Mais son inquiétude n’est pas levée pour son mari, Christophe, placé, lui, en garde à vue pour « provocation à la rébellion », et qui encourt jusqu’à deux mois d’emprisonnement. Arrêté en même temps que son épouse à la fin de l’acte XXVI du mouvement des « gilets jaunes », qui a enregistré samedi sa plus faible mobilisation depuis le début du mouvement (18 600 manifestants selon le ministère de l’intérieur), Christophe – qui n’est pas enseignant – n’a pu quitter le commissariat que dimanche dans la soirée, concomitamment à la visite sur place d’Alexis Corbière (LFI), premier adjoint au maire du 12e arrondissement.

Quelques jours après son interpellation, Isabelle se « refait le fil » de la journée de samedi. Après avoir exhibé la pancarte au-dessus de sa tête, elle assure l’avoir rapidement rangée quand, sur la place Jussieu (5e arrondissement), avant que ne démarre le défilé, des policiers en civil lui ont demandé de se mettre à l’écart pour procéder à un contrôle d’identité. Elle leur signifie qu’elle doit en avertir son compagnon. Celui-ci use alors de son mégaphone pour « alerter » des camarades, raconte-t-elle, et la « protéger ». Le contrôle d’identité n’a pas lieu.

« Le cas d’Isabelle, arrêtée alors qu’elle ne représentait pas un danger, est révélateur de la répression qui peut toucher tout le monde »

La manifestation à laquelle Isabelle prend part derrière la bannière des « établissements en lutte » démarre dans le calme. « Suivent deux heures de manif bon enfant, raconte Clara, enseignante elle aussi syndiquée chez FO, qui marche à ses côtés. En arrivant aux Grands Moulins [dans le 13e arrondissement], lieu de la dispersion, Isabelle identifie des policiers, s’en alarme, demande à ce qu’on l’aide à s’exfiltrer… ce qu’on a fait », explique Clara. Au niveau de l’avenue de France (13e), l’enseignante est rattrapée par les policiers, ramenée jusqu’à un camion, puis embarquée avec son compagnon. « Cela s’est fait sans aucune violence », tient-elle à préciser.

« Pression sur tout acte de revendication »

Devant le commissariat, lundi, Isabelle, qui précise avoir rejoint les manifestations des « gilets jaunes » dès cet hiver, ne s’est pas appesantie sur son engagement militant. Ses collègues ont, eux, rivalisé d’arguments contre la politique sociale et éducative du gouvernement, et les « tentatives d’intimidation » qui, assurent-ils, « se multiplient ».

« Le cas d’Isabelle, arrêtée alors qu’elle ne représentait pas un danger, est révélateur de la répression qui peut toucher tout le monde », fait valoir Laetitia, professeure à Pontault-Combault (Seine-et-Marne), rappelant aussi le cas de l’interpellation, le 9 mai à Nice, d’un enseignant du syndicat SNES-FSU à l’issue de la manifestation de la fonction publique. « La loi Blanquer – en cours d’examen au Sénat – avec son article 1 qui exige de nous un devoir d’exemplarité dans et en dehors de l’école, c’est la mise au pas des personnels », martèle Benoît Connetable, secrétaire académique du syndicat national Force ouvrière des lycées et collèges.

Pour soutenir les enseignants mobilisés, Nicolas Bonnet-Oulaldj, président du groupe communiste au conseil de Paris, avait lui aussi fait le déplacement devant le commissariat. « On ressent une pression sur tout acte de revendication », affirme le conseiller du 12e arrondissement. Il fait « le lien » entre le « cas » d’Isabelle et celui de la centaine de jeunes – dont une vingtaine de mineurs – interpellés le 22 mai 2018 après l’occupation du lycée Arago, dans ce même quartier, en marge d’une manifestation de fonctionnaires. « C’était il y a bientôt un an, rappelle-t-il, et ça nous a ouvert les yeux : l’école n’est plus un sanctuaire ».

Contacté, le rectorat de Paris n’a pas donné suite à notre demande de précisions.

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