L’« amende maximale » de 150 000 euros a été requise lundi 13 mai contre La Poste. Ici, à Toulouse le 4 avril 2019. / PASCAL PAVANI / AFP

L’« amende maximale » de 150 000 euros a été requise lundi 13 mai contre La Poste, jugée devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour prêt de main-d’œuvre illicite après la noyade accidentelle en 2012 d’un coursier employé par un sous-traitant de sa filiale Coliposte.

Seydou Bagaga, 34 ans, de nationalité malienne, avait succombé le 8 janvier 2013, après avoir chuté dans la Seine le 15 décembre 2012 dans une eau à 5 degrés en tentant de récupérer un colis qu’il avait fait tomber lors d’une livraison sur une péniche à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Un geste dangereux, qui ne peut s’expliquer que par son désir d’obtenir enfin un contrat de travail. « Tous les jours, je l’ai entendu réclamer son contrat au téléphone et tous les jours on lui répondait « demain », se souvient celle qui était sa compagne, Mariam.

L’enquête de l’inspection du travail avait, en effet, révélé que ce père d’un enfant âgé à l’époque de 8 mois et qui venait d’obtenir son titre de séjour, le 28 novembre, n’était pas déclaré à l’Urssaf par son employeur, DNC Transport, alors qu’il y travaillait depuis quelques jours, et que le donneur d’ordre, Coliposte, ne pouvait ignorer la situation.

Selon son employeur, M. Bagaga était en période d’« observation » avec un binôme. « La Poste décidait du recrutement et préférait attendre de voir si la personne convenait avant que je fasse la déclaration unique d’embauche », a-t-il dit. Une version contestée par La Poste.

Amende maximale

L’enquête de l’inspection du travail avait aussi montré que la déclaration d’embauche avait finalement été réalisée dans la précipitation une heure après l’accident de M. Bagaga. Ainsi qu’un contrat de travail, évidemment non signé par la victime. Mais il n’y a pas eu de déclaration d’accident du travail, ce qui prive ses ayants droit de ressources.

Le ministère public a donc requis une « amende maximale de 150 000 euros » contre La Poste pour avoir « réalisé une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre hors du cadre légal du travail temporaire », mais aussi pour « marchandage » (prêt de main-d’œuvre ayant entraîné un préjudice pour le salarié). « Une amende dérisoire au vu du résultat d’exploitation » de cette société à capitaux publics, a regretté le procureur.

Le magistrat espère que ce procès aura une « valeur pédagogique » face « au naufrage total d’une société » qui a « sciemment entretenu la précarisation de ses sous-traitants », parmi lesquels la victime. Il a aussi remarqué que l’on voit bien, au regard de l’identité des salariés dans les documents fournis que beaucoup sont « d’origine étrangère », « la population la plus fragile, sans doute pas la plus à même » d’accéder à ses droits, « d’être épaulés par les syndicats, les avocats… C’est aussi cela que l’on juge. »

Il ne s’agit pas « de faire le procès de la sous-traitance » mais de faire celui d’« un dévoiement pur et simple de [cette] sous-traitance dans le secteur de la livraison de colis », dont « le but lucratif (…) saute aux yeux », selon lui.

Forte hausse du recours aux sous-traitants

Hervé Lehman, avocat de La Poste, a plaidé la relaxe, estimant que « le premier employeur de France » n’était pas le « monstre abominable » que l’accusation voulait décrire : « la sous-traitance, c’est parfaitement permis », faisant remarquer que c’était le gérant de DNC qui avait « embauché de façon clandestine M. Bagaga » et qui fixait sa rémunération.

Le procureur a demandé huit mois de prison avec sursis contre l’ex-gérant – également poursuivi pour travail dissimulé – assortis d’une interdiction de gérer pendant cinq ans, ainsi que cinq mois avec sursis contre l’ex-directeur de l’agence Coliposte d’Issy-les-Moulineaux, pour laquelle le sous-traitant travaillait. La défense des deux hommes a plaidé la relaxe, estimant qu’ils avaient tous deux agi dans un cadre légal.

Aucun prévenu n’était poursuivi pour homicide involontaire dans ce dossier, un non-lieu ayant été prononcé durant l’instruction contre le gérant de DNC.

Selon Sud-PTT, qui s’est constitué partie civile au côté des syndicats CGT et UNSA-Postes notamment, la proportion de recours aux sous-traitants est passé de moins de 25 % à 73 % en Ile-de-France entre 2006 et 2012. La Poste, elle, a indiqué à l’audience n’y avoir recours – au niveau national – qu’à hauteur de 13 %.

Rémunération bien moindre pour un travail plus difficile

Selon Thierry Lagoutte, membre de la fédération SUD-PTT entendu à la barre, La Poste réserve à ses sous-traitants les tournées les plus difficiles. Leurs livreurs travaillent six jours sur sept, distribuent jusqu’à 200 ou 250 colis par jour contre 100 pour les postiers, sans jour de récupération et dans des amplitudes horaires bien supérieures à celles des colipostiers, tout en faisant « exactement le même travail » pour une rémunération bien moindre.

« On a demandé des négociations sur ce sujet, indique-t-il, soulignant qu’il n’y a pas de plans de prévention des risques, par exemple. Il faut qu’au moins ce drame serve à quelque chose. » Toute cette affaire signe-t-elle un échec syndical ? « On n’a pas réussi à améliorer les conditions de travail, reconnaît M. Lagoutte. Si on en est arrivé à un décès sans qu’il n’y ait de déclaration d’accident du travail, c’est que le rapport de force n’a pas été suffisant. » Il est vrai aussi que laisser aux sous-traitants la partie la plus dure du travail arrange les postiers. « C’est humain de ne pas avoir envie de se casser le dos en montant des étages avec 30 kilos sur le dos, constate le syndicaliste. C’est pourquoi on demande la réinternalisation de la distribution des colis, comme c’était le cas il y a dix ans encore. Ainsi, tout le monde pourra se batte ensemble pour ses conditions de travail. » La décision du tribunal est attendue le 8 juillet.