Le Slovène Borut Bozic, ici sur Paris-Nice en 2017, est suspecté d’avoir pratiqué des auto-transfusions avec le docteur Mark Schmidt en 2012 et 2013. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Y a-t-il quelque chose de « pourri » dans le cyclisme de Slovénie ? Tous les regards sont en tout cas tournés vers la petite république adriatique depuis la révélation de l’implication d’un cycliste et d’un ancien cycliste slovènes dans l’opération « Aderlass », cette enquête de la police allemande sur un réseau de dopage sanguin organisé.

Mardi 15 mai, l’Union cycliste internationale (UCI) a suspendu à titre provisoire le coureur Kristjan Koren et l’ancien coureur, désormais directeur sportif, Borut Bozic, de l’équipe Bahreïn-Merida. Ils sont accusés par le médecin au centre de l’enquête, l’Allemand Mark Schmidt, d’avoir bénéficié d’auto-transfusions en 2012 et 2013.

Le Croate Kristijan Durasek est également visé, sur une période plus récente. Né à Varazdin, à 30 kilomètres de la frontière slovène, il est proche de nombreux cyclistes slovènes, lui qui est passé par deux équipes amateures du pays : Perutnina Ptuj (2006-2008) et Adria Mobil (2012).

Ces dernières années, le cyclisme slovène a enregistré un grand nombre de cas positifs. Selon notre recensement, 8 des 19 coureurs slovènes ayant évolué dans le World Tour (la première division du cyclisme) depuis dix ans ont été suspendus pour dopage, parfois avant ou après leur passage dans l’élite du cyclisme. Soit 42 % d’entre eux, une proportion énorme au regard de la faible efficacité de la lutte antidopage.

« Malheureusement, nous avons eu beaucoup de cas positifs. C’est sans doute en raison de la proximité avec l’Italie, par laquelle beaucoup de cyclistes sont passés, estime Janko Dvorsak, président de l’agence antidopage slovène. Ce qui compte, ce n’est pas le pays d’où vous venez mais l’équipe dans laquelle vous évoluez. »

Ce qui était vrai dans les années 2000, quand beaucoup de coureurs slovènes des équipes italiennes étaient cités dans des affaires de dopage, n’est plus forcément le cas. Ces dernières années, les Slovènes débusqués par la lutte antidopage l’ont été aussi bien dans des équipes slovènes qu’italienne, française, américaine ou espagnole.

Le prédécesseur de Mark Schmidt s’alimentait en Slovénie

Frontalière de pays disposant d’une loi antidopage solide - Autriche et Italie -, la Slovénie était considérée, il y a une dizaine d’années, comme un havre de paix pour les dopés sur le sol européen.

Stefan Matschiner est l’homme qui a cédé son arsenal du parfait dopeur à l’Allemand Mark Schmidt. Jusqu’en 2008, il a dirigé un trafic de dopage sanguin qui lui a valu une condamnation en Autriche en 2010.

Lorsqu’il a appris le démantèlement du réseau de Mark Schmidt, il s’est interrogé, dans le journal local Nachrichten : « Il faut être stupide pour faire cela en Autriche, compte-tenu de la rigidité de la loi anti-dopage ici. On peut le faire partout ailleurs, comme en Slovénie où il ne se passe sans doute rien. »

Lui-même s’était procuré en Slovénie les ampoules de DynEPO pour ses athlètes et la centrifugeuse indispensable à son trafic de poches de sang, comme il l’a raconté dans son livre-confession en 2011 (« Grenzwertig, Aus dem Leben eines Dopingdealers », Riva, 2011, non traduit). Il en était un jour revenu avec 180 000 unités de DynEPO dans le coffre, suffisant pour alimenter toute une équipe cycliste sur une course de trois semaines.

C’est aussi un ancien athlète slovène qui alimentait en DynEPO les cyclistes de l’équipe Rabobank, Michael Boogerd et Thomas Dekker, selon le témoignage de ce dernier dans son livre « The Descent » (Ebury Publications, 2017, non traduit).

« Nous n’étions pas assez stricts »

Depuis, les temps ont changé, veut croire Janko Dvorsak. « Nous n’étions pas assez stricts. Après 2009, le comité olympique a créé un département antidopage. Depuis 2014, il y a une véritable agence antidopage indépendante. »

Cette dernière, dotée d’un budget de 400 000 euros par an, compte sur la Fondation Antidopage du Cyclisme (CADF), agence indépendante de l’Union cycliste internationale, pour contrôler ses coureurs cyclistes évoluant au plus haut niveau.

En ce qui concerne les trafics, toutefois, elle doit compter sur la police locale, qui a d’autres priorités. La loi slovène criminalise le trafic de produits dopants ou l’aide au dopage, mais pas des méthodes de dopage comme les transfusions sanguines.

L’agence antidopage slovène n’a jamais eu à connaître l’implication de sportifs nationaux dans l’affaire « Aderlass », l’enquête étant menée strictement par les autorités policières.

Chez les autorités de la lutte antidopage, on émet de sérieux doutes sur la volonté de la police slovène de faire le ménage chez elle.

Selon le témoignage de l’ancien coureur allemand Danilo Hondo fait à la chaîne publique ARD, Mark Schmidt a aussi cherché à échapper à la surveillance de la police autrichienne en exploitant les lacunes policières en ex-Yougoslavie : c’est avec un téléphone portable « slovène ou croate » que Hondo coordonnait l’agenda des prélèvements de sang et des réinfusions avec le docteur Schmidt.

Génération dorée

En Slovénie, les nouvelles stars du sport sont cyclistes, certes à une bonne longueur des basketteurs champions d’Europe à la surprise générale en 2017. Pays montagneux de deux millions d’habitants seulement, la Slovénie n’est pourtant pas riche d’une grande culture cycliste, à l’instar de ses voisins d’ex-Yougoslavie. Basket, handball ou sports d’hiver sont un débouché naturel au pays de la skieuse Tina Maze et du sauteur à ski Peter Prevc.

Primoz Roglic, lui, n’a pas percé dans le saut à ski, mais incarne cette nouvelle génération de cyclistes slovènes, qui n’a jamais été aussi prolifique au plus haut niveau - 11 coureurs, dont la moitié au sein de l’équipe Bahreïn-Merida. Le pays occupe la 10e place au classement mondial.

Roglic, actuel leader du Tour d’Italie (il court sous les couleurs de l’équipe néerlandaise Jumbo-Visma), s’est hissé à la cinquième place du classement UCI. Matej Mohoric (équipe Bahrain-Merida) confirme les promesses nées de son titre de champion de monde espoirs à Florence, en 2013. A 24 ans, il compte une victoire d’étape au Tour d’Italie et une autre au Tour d’Espagne, et s’est illustré sur les classiques cette saison. Enfin, Tadej Pogacar est, à 20 ans, la révélation du début de saison sous les couleurs de l’équipe UAE (vainqueur du Tour d’Algarve).

Rien n’indique que ces trois coureurs, jamais contrôlés positifs, soient impliqués dans l’affaire « Aderlass ». Mais la petite communauté de cyclistes slovènes a été frappée par la suspension provisoire de Koren et Bozic, deux de ses plus anciens représentants dans le World Tour. « Pour moi, c’est difficile et tout simplement triste, car je crois maintenant que nous avons beaucoup de bons coureurs ; bien sûr, c’est triste pour le cyclisme slovène », a commenté Primoz Roglic sur le Tour d’Italie.