Des militants du parti Semilla protestent contre la décision de la Cour constitutionnelle guatémaltèque de ne pas inscrire l’ex-procureure Thelma Aldana comme candidate à la présidentielle prévue le 16 juin. Le 14 mai à Guatemala. / Moises Castillo / AP

C’était une décision attendue, au vu du nombre d’ennemis qu’elle s’est faits lorsqu’elle était procureure générale du pays. La Cour constitutionnelle (CC) du Guatemala a rejeté, mercredi 15 mai, l’inscription de l’ex-magistrate Thelma Aldana comme candidate à la présidentielle prévue le 16 juin.

Mme Aldana est accusée par la justice d’avoir eu recours à des emplois fictifs lorsqu’elle dirigeait le parquet. Ses défenseurs assurent qu’il s’agit d’un prétexte pour l’écarter de la course présidentielle. Le secrétaire de la CC, Martin Guzman, a expliqué mercredi que l’ex-magistrate n’avait pas été en mesure de présenter un document certifiant l’absence de charges contre elle, « obligatoire pour pouvoir s’inscrire comme candidat à une élection ». En vertu de quoi, sa candidature présentée par le parti Semilla a été refusée à six voix contre une.

« Il est évident que la lutte contre la corruption et contre les structures criminelles dans notre pays a un coût très élevé pour ceux qui, comme moi, ont décidé de la mener, a tweeté Mme Aldana. Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle a décidé que je ne participerai pas à ce processus électoral, et notre pays a été poussé dans un précipice. Les corrompus veulent nous vaincre. Je suis forte et je garantis au peuple du Guatemala que je continuerai à combattre pour transformer le pays qui, aujourd’hui, nous rend si tristes. »

Guerre sans relâche contre la corruption

Lorsqu’elle était à la tête du parquet, entre 2014 et 2018, Thelma Aldana a mené une guerre sans relâche contre la corruption aux côtés de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), mise en place par l’ONU en 2006 pour démanteler les appareils de sécurité clandestins de la guerre civile – qui a fait environ 200 000 morts entre 1960 et 1996.

Avec le chef de la Cicig, Ivan Velasquez, elle a permis de mettre au jour de nombreux réseaux de corruption. En 2015, le président de l’époque, Otto Pérez Molina, et sa vice-présidente, Roxana Baldetti, ont été contraints à la démission, accusés d’association illicite et de fraude sur les revenus douaniers.

Mais lorsque Mme Aldana et M. Velasquez s’en sont pris en 2016 au frère et au fils du président actuel, Jimmy Morales, élu un an plus tôt sur la promesse d’en finir avec la corruption, puis au chef de l’Etat lui-même, soupçonné de financement illégal de sa campagne, ainsi qu’à des membres de l’oligarchie guatémaltèque, une véritable fronde a été lancée contre la Cicig et contre la chef du parquet. Le président Morales a d’abord déclaré M. Velasquez persona non grata, puis lui a interdit de retourner au Guatemala alors qu’il se trouvait à l’étranger. Mme Aldana, elle, avait été remplacée en mai 2018 par une procureure plus complaisante envers le pouvoir.

« Mon éventuelle candidature dérange les membres du “pacte de corruption” mené par le président Jimmy Morales », Thelma Aldana, ex-procureure

Enfin, le 7 janvier, il a dénoncé l’accord entre l’ONU et le gouvernement sur la Cicig, révoquant purement et simplement son mandat, dont la fin était prévue le 3 septembre. Une décision que la Cour constitutionnelle a aussitôt invalidée, mais depuis, la Cicig fonctionne au ralenti.

Lors d’un entretien avec Le Monde en janvier, avant qu’elle annonce officiellement son intention de participer à la présidentielle, Thelma Aldana assurait : « Mon éventuelle candidature dérange les membres du “pacte de corruption” mené par le président Jimmy Morales et que la Cicig et moi avons dénoncés. » Depuis la mi-mars, elle réside au Salvador considérant que sa sécurité n’est pas garantie au Guatemala.

Lors des élections du 16 juin, les Guatémaltèques sont appelés à choisir leur nouveau chef d’Etat, mais également 160 députés du Congrès, 340 maires et conseillers municipaux et 20 députés du Parlement centraméricain, dont le siège se trouve dans la capitale, Guatemala.

Plusieurs candidats empêchés

Près d’une trentaine de candidats se sont présentés à la présidentielle, mais certains, à l’instar de Thelma Aldana, ont déjà été empêchés par la justice d’y participer. Lundi 13 mai, la Cour constitutionnelle a écarté de la course Zury Rios, la fille de l’ex-dictateur Efrain Rios Montt, au nom d’un article de la Constitution qui interdit aux proches de putschistes d’exercer la fonction de président ou de vice-président.

Mario Estrada, du parti Union du changement national, a, lui, été empêché de se présenter après son arrestation le 17 avril à Miami par l’Agence antidrogue américaine, qui l’accuse d’avoir voulu pactiser avec le cartel mexicain de Sinaloa pour que celui-ci finance sa campagne, en échange de lui laisser utiliser les ports et les aéroports du Guatemala pour le transport de drogue.

Reste à savoir si Sandra Torres, la candidate de l’Union nationale de l’espérance et favorite dans les sondages, pourra être candidate. Elle est accusée par la Cicig d’avoir financé illégalement sa campagne électorale en 2015. La Cour constitutionnelle doit prendre une décision ce jeudi.

Ex-épouse du président Alvaro Colom (2008-2011), Mme Torres en a divorcé en 2011 pour pouvoir se présenter à la présidentielle, la Constitution interdisant aux conjoints de présidents en exercice d’être candidats. Mais sa candidature avait été rejetée sur cette base par la Cour constitutionnelle. Elle a cependant pu se présenter à la présidentielle suivante, en 2015, où elle a été battue au second tour par Jimmy Morales.