Manifestation d’empathie à Rabat, au Maroc, le 22 décembre 2018 après l’assassinat de deux touristes scandinaves, décapitées dans le Haut-Atlas quelques jours plus tôt. / FADEL SENNA / AFP

Le procès des assassins présumés de deux touristes scandinaves, décapitées en décembre 2018 dans le sud du Maroc, a repris, jeudi 16 mai, près de Rabat, une affaire qui avait suscité l’émoi et pour laquelle les principaux suspects risquent la peine de mort.

Les prévenus ont été conduits de la prison de Salé, ville jumelle de Rabat, au tribunal antiterroriste de la même ville peu après 11 heures, heure locale, dans des fourgonnettes escortées par des motards de la police, a constaté un journaliste de l’AFP. L’audience a commencé peu après midi, en présence de plusieurs journalistes marocains et étrangers. Les proches des accusés n’ont pas fait le déplacement.

Les quatre principaux suspects, qui avaient prêté allégeance au groupe Etat islamique (EI), ont « spontanément admis leur crime pendant l’enquête, et aujourd’hui ils regrettent ce qu’ils ont fait », a déclaré à l’AFP leur avocat commis d’office, Hafida Mekessaoui.

Le procès s’était ouvert le 2 mai, mais avait aussitôt été renvoyé. Cette deuxième audience devrait être consacrée à des questions de pure forme, et le procès pourrait prendre des mois avant que le verdict ne soit rendu.

Cette nouvelle audience coïncide au Maroc avec le seizième anniversaire des attentats meurtriers perpétrés le 16 mai 2003 par des kamikazes issus d’un bidonville de Casablanca et qui avaient fait 33 morts.

« Nous voulons comprendre »

Vingt-quatre personnes en tout comparaissent pour « apologie du terrorisme », « atteinte à la vie de personnes avec préméditation » ou « constitution de bande terroriste ».

Les principaux suspects sont accusés d’avoir tué Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et son amie Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans, dans la nuit du 16 au 17 décembre 2018, sur un site isolé du Haut-Atlas où elles campaient. Ils risquent la peine de mort.

« Nous voulons d’abord comprendre, ensuite nous demanderons une compensation financière, même si rien ne peut compenser la douleur des familles » des victimes, a confié à l’AFP Me Khalid Elfataoui, l’avocat des parents de Louisa qui se sont constitués partie civile. Il dit vouloir demander la peine de mort pour les assassins « même si les pays d’origine des victimes y sont par principe opposés ». Des condamnations à la peine capitale sont toujours prononcées au Maroc, mais un moratoire est appliqué depuis 1993 et son abolition fait débat.

Les trois principaux suspects dans cette affaire, natifs de la région de Marrakech (sud), se nomment Abdessamad Ejjoud (25 ans), Younes Ouaziyad (27 ans) et Rachid Afatti (33 ans). A l’ouverture du procès, le premier, chef présumé du groupe, s’était présenté tout sourires au premier rang des accusés, aux côtés de ses deux compagnons. Surnommé « Abou Moussab », il avait déjà fait de la prison pour avoir tenté de rejoindre l’EI en Syrie. Un quatrième Marocain, Abderrahim Khayali, 33 ans, s’était rendu avec les trois autres dans la montagne mais était retourné à Marrakech pour y trouver une cachette, peu avant le moment du double crime, selon l’acte d’accusation consulté par l’AFP.

La diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant la décapitation d’une des victimes, filmée par l’un des hommes, avait suscité l’effroi dans le royaume. Dans cette séquence, l’un des suspects parlait de « revanche » pour les « frères » en Syrie, où l’EI, sous le coup de plusieurs offensives, avait perdu la majorité des territoires dont il s’était emparés. Une autre vidéo publiée dans la foulée montrait les quatre suspects principaux prêtant allégeance à l’EI.

« Assassiner des touristes »

Issus de milieux modestes, avec un niveau d’instruction « très bas » selon les enquêteurs, ils vivaient de petits boulots dans des quartiers déshérités de Marrakech, destination touristique phare du royaume. Arrêtés peu après le drame, ils avaient sur eux des couteaux portant des marques de sang. Leur « cellule terroriste » inspirée par l’idéologie djihadiste n’avait pas de « contact » avec des cadres opérationnels en Syrie ou en Irak, selon les enquêteurs. L’EI n’a jamais revendiqué leurs actes.

Selon l’acte d’accusation, le groupe s’était rendu dans les montagnes touristiques du Haut-Atlas le 12 décembre 2018, décidé à « assassiner des touristes ». Il avait repéré plusieurs cibles potentielles, mais renonçait à chaque fois en raison de la présence de guides ou d’habitants. Dans la nuit du 16 décembre, Ejjoud, Ouaziyad et Afatti avaient repéré les deux victimes campant sur un site isolé.

Les 20 autres prévenus sont poursuivis pour leurs liens avec les tueurs présumés. Agés de 20 ans à 51 ans et membres présumés du groupe d’Ejjoud, ils sont accusés d’avoir « relayé des images de propagande », d’avoir planifié des attaques dans le royaume ou d’avoir voulu rejoindre l’EI en Syrie et en Irak.

Seul étranger du groupe, Kevin Zoller Guervos est un Hispano-Suisse de 25 ans converti à l’islam et installé au Maroc. Selon l’acte d’accusation, il est notamment soupçonné d’avoir entraîné les suspects au tir. Devant le juge d’instruction, il avait déclaré être innocent. La plupart des accusés sont défendus par des avocats commis d’office.