Dmitri Rybolovlev et Albert de Monaco, le 5 mai, au Stade Louis II. / ERIC GAILLARD / REUTERS

Le prince Albert de Monaco est inquiet et ne s’en cache plus. Supporteur historique et actionnaire minoritaire de l’équipe du rocher, le souverain espère qu’elle « sera du bon côté des trois dernières places à la fin de l’ultime journée ». Dans un entretien à Monaco-Matin, paru mercredi 15 mai, le prince s’est ainsi alarmé de la situation critique de l’AS Monaco, 17ème de Ligue 1, à égalité de points avec Caen, le premier barragiste, avant la 37e journée du championnat. Autant dire que la formation entraînée par le Portugais Leonardo Jardim jouera sa survie parmi l’élite contre Amiens (16e, avec deux points d’avance), samedi 18 mai (à 21h), au Stade Louis II.

« J’ai honte des résultats négatifs, a soupiré le coach lusitanien- revenu sur le banc monégasque en janvier après avoir été remplacé, quatre mois plus tôt, par Thierry Henry-, avant la réception des Amiénois. Aujourd’hui nous sommes préoccupés, nous avons besoin de croire que l’équipe est capable de faire tout pour en sortir. » Alors que l’Equipe a chiffré à 73 millions d’euros la perte nette qu’engendrerait une éventuelle descente en Ligue 2, l’heure est à la mobilisation au sein du club, propriété depuis 2011 du milliardaire russe Dmitri Rybolovlev.

Deux ans après son titre de champion de France remporté à la barbe du Paris-Saint-Germain version qatarie, l’ASM traverse une saison chaotique, marquée par une campagne en Ligue des champions désastreuse (élimination au premier tour) et des tensions politiques à tous les étages. « Depuis son arrivée, Rybolovlev n’avait jamais connu de mauvais moment », observe un fin connaisseur du club.

Guerres d’influence et crispations

Les causes de cette dégringolade sont multiples : recrutement parfois hasardeux, politique de trading décousue, usure physique et mentale, préparation perturbée par le retour tardif des « Mondialistes », litanie de blessures, méforme des cadres, effectif trop pléthorique (74 joueurs sous contrat professionnel), guerres d’influence... Le licenciement couteux (près de 20 millions d’euros d’indemnités au total) de Leonardo Jardim, en octobre 2018, et de son remplaçant Thierry Henry, en janvier, aura par ailleurs symbolisé les errements de la direction monégasque.

« Henry n’a jamais eu un effectif cohérent à cause des blessures, il a été parfois obligé de mettre sept joueurs du centre de formation sur la feuille de match, explique un proche de l’ASM. On n’a pas attendu le mercato estival pour voir les bienfaits de la méthode Henry. Il fallait accepter la part de risque. Il n’y a pas eu la volonté politique d’inscrire Henry dans la durée. Il a été victime d’une guerre d’influence entre le prince et Rybolovlev. »

Si Albert de Monaco et l’ex-magnat de la potasse se sont affichés ensemble dans la loge princière, le 5 mai, les relations sont polaires entre les deux dirigeants. Les ennuis judiciaires du Russe- mis en examen, en novembre 2018, dans le cadre de l’affaire d’escroquerie présumée qui l’oppose à son ancien marchand d’art suisse Yves Bouvier- ne sont pas étrangers à ces crispations.

En février, le limogeage du directeur général Vadim Vasilyev, proche du prince et pierre angulaire du projet monégasque, a témoigné du degré de la crise qui secoue le club. Le numéro 2 de l’ASM s’était rendu célèbre pour avoir touché, selon les Football leaks, une commission sur la vente des joueurs du club ( 10 % sur les plus-values réalisées).

La reprise en main de Rybolovlev

Son remplacement par Oleg Petrov et la nomination comme directrice sportive adjointe d’Olga Dementieva, deux proches de Rybolovlev, ont illustré la reprise en main opérée par l’actionnaire majoritaire. L’arrivée de Louis Ducruet (26 ans), fils de Stéphanie de Monaco, comme assistant de M. Vasilyev, en charge du secteur sportif et du recrutement avait scellé, par ailleurs, le retour de la famille régnante, les Grimaldi, dans l’organigramme du club.

La saison noire de l’ASM a entraîné une vague de départ de cadres (le directeur général adjoint Bruno Skropeta, le directeur sportif adjoint Yannick Menu et Manuel Pires, le directeur du centre de formation). En conflit avec Leonardo Jardim, le directeur sportif Michaël Emenalo devrait lui aussi quitter le club.

« Pour que le projet marche, il faut que les planètes soient alignées. En 2016-2017, lors de la saison du titre, tout le monde tirait dans le même sens », confie un observateur avisé du club.

En cas de maintien de l’ASM parmi l’élite, comment Rybolovlev s’y prendra-t-il pour reconstruire l’édifice? « Voudra-t-il nettoyer pour mieux revendre à court terme ou bâtir un projet sur cinq ans? », s’interroge une source proche du club. Alors qu’il a déjà refusé une proposition de rachat, le milliardaire russe n’entend pas lâcher les commandes dans l’immédiat. Son avenir dans la principauté semble suspendu à la décision que rendra la justice dans l’affaire Bouvier. En novembre, dans un entretien à Mediapart, le prince Albert s’était montré catégorique : « si tout cela est avéré, M. Rybolovlev se retirera de lui-même. »