L’arrêt des soins de Vincent Lambert, patient tétraplégique en état végétatif depuis plus de dix ans, a débuté lundi 20 mai au centre hospitalier universitaire de Reims. Une décision à laquelle s’opposent toujours ses parents, qui ont déposé lundi des nouveaux recours pour tenter de s’y opposer.

Le journaliste François Béguin, chargé de la santé au Monde, a répondu à vos questions sur cette affaire.

Archibald : Pourquoi arrêter l’alimentation et l’hydratation plutôt que de choisir une solution rapide si le but est d’entraîner la mort ?

François Béguin : La loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie prévoit que, dans une situation d’obstination déraisonnable, et sous réserve de la volonté du patient, les traitements (dont la nutrition et l’hydratation artificielles) permettant le maintien en vie peuvent être interrompus sur décision médicale.

La loi française interdit en revanche l’euthanasie ou le suicide assisté. Pour les partisans de l’euthanasie, arrêter l’alimentation et la nutrition serait en réalité synonyme d’une « pratique abracadabrantesque de l’euthanasie », comme le fait valoir le sociologue Philippe Bataille.

Carol : L’arrêt des traitements comporte-il des souffrances malgré son état végétatif ?

Vincent Lambert souffre de lésions cérébrales « irréversibles » selon les experts. Il est impossible d’établir une communication avec lui. Mais, au nom du principe de précaution, comme dans toute situation d’arrêt de traitements, il va bénéficier d’antalgiques.

Il va également bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, comme le prévoit la loi Claeys-Leonetti, et de soins de bouche. Pour toutes ces raisons, ce processus d’arrêt des traitements ne devrait engendrer chez lui aucune souffrance.

Max : Aujourd’hui, on sait qu’il y a une véritable guerre de famille. Une partie veut arrêter les soins, l’autre continuer. Même si Vincent Lambert est dans un état végétatif, n’y a-t-il pas un moyen de savoir ce qu’il souhaite ?

C’est tout l’enjeu des débats devant les tribunaux administratifs ces dernières années. Vincent Lambert n’avait pas laissé de directives anticipées ni désigné de personne de confiance. Son épouse, Rachel, et son neveu François assurent qu’il leur avait fait part avant son accident de sa volonté de ne pas vivre une vie comme celle-ci. Ses parents, eux, assurent avoir constaté ces dernières années des signes faisant état de sa volonté de vivre.

Marc : Vincent Lambert avait fait part à sa femme de son souhait de ne pas être maintenu en vie s’il devait un jour se retrouver dans un état végétatif. Je ne comprends donc pas que l’on ne respecte pas sa volonté. Cela aurait-il changé quelque chose s’il avait rédigé par écrit des directives anticipées formelles ?

Oui, s’il y avait eu des directives anticipées, il n’y aurait pas eu d’affaire Vincent Lambert. Si son souhait de refuser tout acharnement thérapeutique avait été écrit noir sur blanc, les parents n’auraient pas pu s’opposer à un arrêt des traitements décidé par les médecins comme ils l’ont fait depuis 2013. La volonté de Vincent Lambert aurait été incontestable.

Emma : Dans le cas ou l’un des recours déposé par les parents serait accepté par la justice, les traitements peuvent-ils reprendre tels qu’ils existaient jusqu’à aujourd’hui ?

C’est ce qui s’était produit en mai 2013, lors du premier arrêt de l’alimentation (l’hydratation avait été un peu maintenue à l’époque). Au bout de trente et un jours, le tribunal administratif avait ordonné la reprise de l’alimentation et de l’hydratation car les parents n’avaient pas été informés de la mise en œuvre du processus d’arrêt des traitements.

Il est peu probable qu’une telle situation se produise de nouveau dans la mesure où le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française, a validé la légalité de ce processus d’arrêt des traitements.

Leg : Est-ce le premier cas d’arrêt des soins ? Sinon, pourquoi un tel écho médiatique ?

Ce n’est pas un premier cas d’arrêt des traitements, loin s’en faut. Si cette affaire a reçu un tel écho médiatique, c’est parce qu’il est exceptionnel qu’une famille se divise ainsi sur la décision à prendre. Dans la plupart des cas, il y a consensus entre les médecins et la famille, même si cela prend parfois du temps.

Colbv : En dix ans, me semble-t-il, la presse n’a pas parlé de cas similaire : une opposition entre une décision médico-judiciaire et la famille…

L’affaire Vincent Lambert est exceptionnelle, mais d’autres affaires où les médecins et la famille étaient en désaccord ont récemment été jugées par la justice administrative. Il y a par exemple eu la situation de Marwa, une petite fille de 15 mois lourdement handicapée, où le Conseil d’Etat a désavoué les médecins.

Erka : Pourquoi Vincent Lambert doit-il mourir et pas les 1 500 personnes dans le même cas ?

Les représentants des familles de personnes cérébrolésées craignent que le cas de Vincent Lambert constitue un précédent. Ils redoutent que le médecin puisse imposer seul une décision d’arrêt des traitements, contre l’avis de la famille, lorsque la personne concernée n’est pas en état de donner son avis. Mais dans les faits, la quasi-totalité des décisions d’arrêt des traitements se font à l’issue d’un consensus entre médecins et membres de la famille.

Comme l’a rappelé dans un communiqué publié lundi la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, « chaque situation est singulière, chaque décision est prise en appréciant les éléments uniques et personnels qui caractérisent l’état de santé d’un patient ». Il ne faut donc « en aucun cas tirer des enseignements généraux de la situation de M. Vincent Lambert sur l’ensemble des patients cérébrolésés ».

Louise : Emmanuel Macron a t-il un pouvoir décisionnel ?

Le chef de l’Etat n’a pas formellement de pouvoir décisionnel dans cette affaire, Vincent Lambert n’est pas un condamné à mort qu’il pourrait gracier comme cela était possible avant l’abolition de la peine de mort.

Emmanuel Macron a en revanche un pouvoir politique : s’il avait voulu prendre position dans cette affaire, il aurait pu déclarer qu’il souhaitait qu’aucune procédure d’arrêt des traitements ne soit mise en œuvre tant que le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies, saisi par les parents, ne se soit prononcé. Il ne l’a pas fait.

Tomek75 : Vous dites que « la quasi-totalité des décisions d’arrêt des traitements se font à l’issue d’un consensus entre médecins et membres de la famille ». Pourtant, l’affaire Vincent Lambert est loin de faire le consensus entre les médecins eux-mêmes, et entre les membres de la famille également. En quoi ce cas est-il particulier ?

La décision d’arrêter les traitements de Vincent Lambert oppose deux parties de sa famille depuis 2013. Son épouse, Rachel, son neveu François et six frères et sœurs du patient ont accepté la décision prise par les médecins de l’hôpital rémois. Pierre et Viviane Lambert, ses parents, ainsi qu’un frère et une sœur s’y opposent. Une situation complexe à laquelle viennent s’ajouter les croyances et engagements des parents, proches des catholiques intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X.

Jéjé la Saumure : Certains hôpitaux italiens sont prêts à recevoir Vincent Lambert et à s’occuper de lui. Pourquoi ne pas accepter cette demande ?

Pierre et Viviane Lambert ont à plusieurs reprises fait valoir que des établissements spécialisés étaient prêts à accueillir leur fils. Si ce transfert n’a pas eu lieu, c’est parce que ce n’est pas à eux de décider à la place de leur fils majeur. Ce qui prime, c’est ce qu’il aurait souhaité lui. Son épouse Rachel assure que « c’est une vie dont il n’aurait pas voulu ».

MariesolTB : « Pierre et Viviane Lambert, ses parents, proches des catholiques intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi cet élément a un lien avec votre réponse ?

A mon sens, c’est un élément de compréhension de cette affaire. Ce n’est évidemment pas le seul, mais il me paraît important de le préciser.

Antoine : « Ses parents proches des catholiques intégristes » : pourquoi souligner cela ? Quels sont les éléments qui vous font parler de catholicisme « intégriste » ?

C’est ainsi que nous définissons la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, un mouvement dont les parents sont proches.

Béré : En quoi le médecin Sanchez prend-il un risque aujourd’hui ?

Je ne suis pas sûr que le docteur Vincent Sanchez prenne un risque aujourd’hui. Il a scrupuleusement respecté la procédure prévue par la loi Claeys-Leonetti, ce qu’ont récemment confirmé le Conseil d’Etat et la Cour européenne des droits de l’homme. Il est en revanche possible qu’il doive affronter quantité d’injures, voire de menaces, si l’on en croit les témoignages de ses deux prédécesseurs à ce poste.

Cha : Cette affaire peut-elle permettre de rouvrir le droit à l’euthanasie en France ?

C’est l’espoir des partisans de l’euthanasie, comme l’Association pour le droit de mourir dans la dignité pour qui il y a une hypocrisie de la loi française à ne pas accepter franchement un geste létal.

Pour l’heure, le gouvernement a fait savoir qu’il ne souhaitait pas que cette question de la fin de vie figure dans la révision des lois de bioéthique qui va s’ouvrir au Parlement dans les prochaines semaines. Reste que la position du chef de l’Etat est très floue sur le sujet et qu’une partie des députés de la majorité s’est dite prête à voter une loi sur la fin de vie.