Editorial du « Monde ». Il est difficile d’imaginer document plus accablant pour un dirigeant politique européen que celui qui a été rendu public, vendredi 17 mai, par des médias allemands : une vidéo de parfaite qualité, datant de 2017, sur laquelle on voit et on entend le futur vice-chancelier autrichien, Heinz-Christian Strache, offrir à une jeune femme qu’il pense liée à un oligarque russe des contrats publics lucratifs en échange d’un soutien financier à son parti.

Au cours de cette conversation, enregistrée à Ibiza (Espagne), à quelques semaines des élections législatives en Autriche, M. Strache discute également de la possibilité pour l’investisseur russe de prendre le contrôle d’un quotidien populaire autrichien afin de soutenir son parti d’extrême droite, le FPÖ, et évoque la stratégie de contrôle des médias du premier ministre hongrois, Viktor Orban.

Ces révélations ont provoqué un séisme politique en Autriche. M. Strache a démissionné de ses fonctions de vice-chancelier et de chef de parti. Le chancelier, Sebastian Kurz, a déclaré qu’il ne pouvait plus gouverner en coalition avec le FPÖ et a convoqué de nouvelles élections.

Alliés embarrassés

L’onde de choc de ce scandale, cependant, dépasse largement les frontières de l’Autriche. Il confirme les pires soupçons que les gouvernements démocratiques européens ont sur les liens de ces partis d’extrême droite avec les structures de pouvoir de la Russie de Vladimir Poutine : proposer de vendre secrètement des intérêts nationaux au représentant d’un pays dont les tentatives d’ingérence et de manipulation des processus électoraux au sein de l’Union européenne mobilisent tous les services de contre-espionnage relève d’une étrange conception du patriotisme. En démissionnant, M. Strache a tiré les leçons de ces révélations. Ses alliés européens, embarrassés, ont plus de mal.

L’affaire Strache a plané sur la grand-messe nationaliste organisée, samedi, à Milan, par Matteo Salvini, vice-premier ministre italien et chef de la Ligue, avec une dizaine d’autres partis d’extrême droite, dont le Rassemblement national de Marine Le Pen. Si Mme Le Pen a fini par condamner, lundi, « la faute lourde » de M. Strache, M. Salvini est resté silencieux.

Le scandale tombe au pire moment pour eux : le FPÖ était un maillon important dans la stratégie de formation d’un groupe eurosceptique au Parlement européen, après les élections des 23 et 26 mai. L’ensemble des sondages laissent prévoir une forte progression des partis nationalistes à l’occasion de ce scrutin, mais leur unité se trouve encore plus fragilisée.

L’autre conséquence de la chute du vice-chancelier Strache est l’échec de la stratégie d’alliance droite-extrême droite dont rêvaient MM. Salvini et Orban pour le Parlement européen. Le chancelier Kurz, qui en était le pionnier, a clairement acté cet échec samedi. L’Allemand Manfred Weber, chef du PPE (Parti populaire européen, qui regroupe les partis de la droite modérée au Parlement de l’UE) et candidat de ce courant à la présidence de la Commission, s’en est fait l’écho à son tour, dimanche soir : « La leçon à tirer du comportement répugnant des populistes de droite du FPÖ, a-t-il tweeté, est qu’on ne doit pas laisser ces radicaux influer sur notre Europe. »

Les choses sont, en effet, plus claires ainsi. Il est temps, pour les démocrates européens, de tenir à distance des partis qui se prétendent souverainistes, mais prennent leurs conseils à Moscou – ou à l’Hôtel Bristol, à Paris, auprès de l’Américain Steve Bannon, idéologue de Donald Trump.