Yvette, 80 ans, mère de Jean-Yves, 58 ans, avait déposé, auprès d’un notaire, une requête en adoption simple de deux personnes : Nadège, 44 ans, et Gilles, 40 ans. / Tom Stewart/Flirt / Photononstop

Le 8 août 2016, Yvette B., 80 ans, mère de Jean-Yves B., 58 ans, dépose, auprès d’un notaire, une requête en adoption simple de deux personnes : Nadège M., 44 ans, et Gilles M., 40 ans. Elle explique que lorsque Nadège et Gilles, enfants de l’assistance publique, ont été âgés de quelques mois, ils ont été placés chez elle et son mari ; qu’elle les a élevés, et toujours considérés comme ses propres enfants.

Testament

Le 12 septembre 2016, Yvette, qui souffre d’un cancer depuis 2013, décède. Jean-Yves prend alors connaissance de sa requête, qui, si elle est acceptée, fera de Nadège et de Gilles ses cohéritiers : chacun des trois enfants aura droit à un tiers de la succession. Le fils légitime découvre aussi le testament qu’Yvette a laissé, pour le cas où la procédure d’adoption échouerait : elle y lègue sa quotité disponible à Nadège et à Gilles. Ils auraient ainsi droit à une moitié de la succession, et lui-même à l’autre moitié seulement.

Il s’oppose à l’adoption, en affirmant que Nadège et Gilles ont fait pression sur sa mère, qui n’avait plus toute sa tête, afin qu’elle dépose sa requête, mais il est débouté par le tribunal de grande instance des Sables-d’Olonne (Vendée), le 26 juin 2018. Le juge considère que l’adoption par Yvette est « la consécration finale, à quelques mois de son départ, du lien d’affection qui l’unit depuis des dizaines d’années avec Mme Nadège M. et M. Gilles M. », et qu’elle est « dans la continuité de son testament ».

Recevabilité

Jean-Yves fait aussitôt appel. Il soutient que la requête n’était pas « fondée », du fait que sa mère n’était pas saine d’esprit, selon lui, en la déposant. Il affirme, en outre, qu’elle était « irrecevable », car « incomplète », du fait qu’elle ne comportait pas son avis à lui, sur l’adoption. Or, cet avis était, d’après ses dires, nécessaire, pour que le tribunal vérifie, comme le lui impose l’article 353 du code civil, si, « dans le cas où l’adoptant a des descendants, l’adoption n’est pas de nature à compromettre la vie familiale ».

La cour d’appel de Poitiers, qui statue le 27 février (2019), rappelle que les conditions requises pour adopter sont : le consentement de l’adopté, s’il a plus de treize ans ; l’âge minimum de l’adoptant (plus de 28 ans) ; et l’écart d’âge avec les adoptés (plus de quinze ans). La cour constate qu’elles sont réunies. Elle ajoute qu’« aucune disposition légale n’impose au requérant de déposer avec sa requête l’avis de ses enfants légitimes ». Elle juge donc que la requête était recevable.


Insanité d’esprit

La cour examine ensuite son bien-fondé. Elle rappelle qu’aux termes de l’article 414-1 du code civil, c’est à celui qui invoque l’insanité d’esprit de prouver le trouble mental. Or, estime-t-elle, Jean-Yves B. « ne fait pas la preuve de ce que Mme Yvette B. présentait une insanité d’esprit dans la période immédiatement antérieure à l’acte » : en effet, depuis le 30 juin 2016, la vieille dame présentait certes « des troubles cognitifs d’origine neurodégénérative », mais seulement « débutants » : elle vivait seule et « était autonome pour les actes de la vie courante ». C’est « plus de trois semaines après la rédaction de l’acte, que son état général s’est aggravé, sans d’ailleurs que son insanité d’esprit ait été constatée par le docteur C. »

La cour relève, en outre, une bizarrerie, dans les éléments que Jean-Yves apporte, à l’appui de son argumentation : sa mère, affirme-t-il, aurait été « placée sous sauvegarde de justice, le 6 septembre 2016, par le docteur P. ». Or, « le placement sous sauvegarde de justice relève du juge des tutelles, et non d’un médecin, en sorte qu’on ne voit pas comment le docteur P. aurait pu placer Mme B. sous sauvegarde de justice ».

Vie familiale

La cour d’appel cherche, enfin, à savoir si l’adoption est de nature à compromettre la vie familiale du descendant. Elle indique, en préalable, que « l’opposition des descendants, à défaut d’éléments objectifs, ne peut à elle seule faire échec à l’adoption, quand bien même celle-ci leur cause nécessairement un préjudice d’ordre patrimonial ». Elle constate que Jean-Yves B., « âgé de plus de 60 ans », vit « séparément depuis des décennies » : elle conclut que « la vie de la cellule familiale, qui n’existe plus, ne peut être impactée ».

Elle ajoute que, « depuis des années, [Jean-Yves] voyait très peu sa mère » et que, « en quinze ans, il n’a passé qu’un seul Noël avec [elle], contrairement à M. Gilles M. et Mme Nadège M. », qui ont toujours partagé cette fête avec elle et leurs propres enfants. Elle juge que « l’adoption n’est pas détournée de sa finalité première, qui est de créer un lien de filiation entre l’adoptante et les adoptés, Mme Yvette B. ayant eu à cœur, quelques mois avant son décès, de concrétiser les liens d’affection qui l’unissaient aux enfants qu’elle a élevés depuis quasiment leur naissance ». Elle confirme le jugement.