L’avis du « Monde » – A ne pas manquer

Le personnage-concept de John Wick est né il y a sept ans, de la plume du scénariste Derek Kolstad qui proposait, à l’origine, un récit classique, celui du tueur retiré des affaires, rattrapé par la violence et décidé à se venger impitoyablement. Mais si cette structure plus que convenue aura, dès le premier titre de ce qui est devenu une franchise, connu le destin d’être subvertie, voire dépassée, c’est sans doute en raison de la personnalité des producteurs et réalisateurs de cette saga, David Leitch et Chad Stahelski, anciens responsables des cascades de la série des Matrix.

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A la promesse que contenait le scénario à l’origine, celui d’un film noir mélancolique (le héros est un veuf inconsolable) et d’un brutal film de gangsters (il s’en prend à un gang russe dont il fut autrefois l’assassin à gages) se substituait, dès ce premier titre, au fur et à mesure de la progression des péripéties, un pur ballet de mort à la fois ultraviolent et ultrastylisé. Après une suite qui confirmait le déplacement du récit dans un monde perdant progressivement toute référence avec le réel, voici donc un troisième volet qui achève de faire basculer cette franchise dans une catégorie peut-être nouvelle du cinéma d’action hollywoodien, indiscutablement mutante. John Wick Parabellum vient déjà de dépasser les deux précédents titres au box-office aux Etats-Unis et a engrangé 57 millions de dollars en première semaine d’exploitation.

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Il n’y a quasiment plus rien de ce qui pourrait constituer un récit au sens classique du terme dans John Wick Parabellum, œuvre construite sur la sédimentation de situations et de séquences reposant sur l’énergie des corps, la vitesse des mouvements, la plasticité des actions, tout autant que sur la résistance des chairs et les décors, d’une irréalité familière, de villes gorgées de néons et de trottoirs mouillés. Le héros du film, à la suite d’une transgression majeure, prétexte et postulat dérisoire, commise par lui dans le deuxième volet, a vu sa tête mise à prix par une organisation secrète. John Wick est donc traqué par les plus habiles tueurs à gages du monde et son existence ne se réduit plus qu’à une course effrénée et des combats au cours desquels les armes à feu, les poings, les armes blanches et divers objets inattendus sont mis à contribution pour remplir leur fonction létale.

Une abstraction pure et jouissive

Véritable pandémonium de brutalité, ce troisième volet se nourrit d’influences et d’esthétiques diverses, d’ambiances venues du passé voire d’autres genres cinématographiques. Le cinéma d’arts martiaux hongkongais, le cartoon bien sûr, mais aussi les thrillers glamour et chorégraphiés de John Woo constituent certes une généalogie possible. Mais avec John Wick Parabellum, le film d’action semble entrer aussi dans un nouvel âge, une postmodernité singulière, inouïe, non dénuée d’ironie mais moins construite sur la référence ou le pastiche assumé que sur l’élégante invention de purs dispositifs plastiques.

Toujours tiré à quatre épingles, à la fois souffrant et invincible, mélancolique et furieux, le personnage éponyme, incarné avec une intensité confondante par Keanu Reeves, traverse une série d’épreuves qu’il transforme en performances et en installations, termes qu’il faut comprendre au sens où l’entend l’art contemporain. Les arts martiaux deviennent les figures d’une chorégraphie inédite, et de furtives silhouettes humaines se consument en une demi-seconde. Tout en reposant sur la perception par le spectateur d’une nouvelle géographie des sensations, d’une déstabilisation spatiale, d’une ubiquité sans limite (on passe de New York à Casablanca le temps d’un raccord de plans) et d’éblouissements fugaces, le film d’action devient ici une abstraction pure et jouissive en même temps.

JOHN WICK PARABELLUM (Keanu Reeves) - Bande annonce VF
Durée : 02:31

Film américain de Chad Stahelski. Avec Keanu Reeves, Halle Berry, Anjelica Huston (2 h 12). www.metrofilms.com/films/john-wick-chapter-3-parabellum