Laurent Vidal est anthropologue. Ce chercheur, correspondant de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) au Mali, travaille depuis vingt-cinq ans sur la santé au Sahel. Le sida, la tuberculose, le paludisme et la santé maternelle sont au cœur de ses sujets.

A l’occasion d’un séminaire sur l’amélioration des liens entre chercheurs et humanitaires au Sahel, sous l’égide de l’IRD, il revient pour Le Monde sur la situation sanitaire globale des populations de la région ouest-africaine et sur la difficulté à adapter les procédures de recherche en « zone rouge ». Ces espaces, où le Quai d’Orsay déconseille fortement aux ressortissants français de se rendre, représentent, par exemple, 80 % du territoire malien et sont essentiels pour la recherche.

Sénégal, Mali, Burkina, Niger… L’IRD est présent depuis des décennies dans ces quatre pays. Quel constat sur la santé faites-vous sur le moyen terme ?

Laurent Vidal Globalement, on peut dire que la situation s’est améliorée dans ces pays. Entre 1990 et 2017, l’espérance de vie a en moyenne augmenté de dix ans : on est passé de 49 ans à 63 ans au Mali, de 50 à 63 ans au Niger. En revanche, il est vrai que, si ces pays affichent une croissance économique qui nous fait rêver, nous en Europe, il faut avoir conscience qu’elle est en très grande partie absorbée par la croissance démographique et ne se traduit pas vraiment sur la qualité de la vie. Le Niger a toujours un taux de fécondité de 7 enfants par femme, le Mali de 6 et le Sénégal, qui a le plus réduit, est entre 3 et 4.

Peut-on attribuer le gain en années de vie supplémentaires à l’éradication de maladies ?

Nous enregistrons en effet des progrès sur le traitement du paludisme comme du VIH. Au point même qu’au Sénégal le paludisme est sorti des dix premières causes de mortalité. En revanche, l’hypertension et le diabète sont en augmentation sur toute la zone. Si l’on s’arrête encore sur l’exemple du Sénégal, le diabète y passe de la 10e à la 8e place des causes de mortalité chez l’adulte entre 1990 et 2017. D’ailleurs, l’IRD vient d’obtenir un financement au Mali de l’ambassade de France pour une recherche qui va notamment s’intéresser aux impacts de l’alimentation à Bamako sur certaines de ces maladies dites « de civilisation ».

Ces maladies comme le diabète ou l’hypertension commencent à inquiéter, certes, mais de quoi meurt-on principalement aujourd’hui dans cette zone ?

D’abord, n’oublions pas la mortalité néonatale qui reste présente. Même si elle a considérablement baissé ces dernières années, elle reste très élevée, avec les diarrhées, les infections respiratoires et la malnutrition. La mortalité maternelle aussi reste élevée. Nous l’avons d’ailleurs étudiée de près, car la scruter permet de mieux comprendre le niveau de développement.

Pouvez-vous détailler ce point ?

En fait, l’étude de la mortalité des mères ou futures mères apporte beaucoup d’informations sur le système de santé comme sur la société elle-même. La mort d’une femme enceinte est souvent due à un retard dans sa prise en charge médicale. Mais mieux cerner à quel moment a eu lieu ce retard permet de comprendre bien des choses. Soit la famille – souvent le mari – retarde trop le moment de décider qu’une prise en charge est nécessaire. Soit il s’écoule un laps de temps trop long entre l’arrivée à l’hôpital et la prise en charge effective de la femme ; soit c’est l’acte médical qui pose problème faute de matériel ou de personnel.

Etre capable de remonter les causes dun décès maternel en comprenant à quel moment l’attente a été trop longue renseigne largement sur les sociétés, et permet de comprendre sur quel levier il faut agir pour faire diminuer cette mortalité.

L’IRD finance une enquête importante sur la santé des populations dans le nord du Mali. Comment travaillez-vous sur un territoire classé à 80 % en zone rouge et le reste en zone orange ?

L’ambassade de France ne nous autorise pas à aller partout : l’interdiction est formelle en zone rouge, elle peut être accordée en zone orange mais sous certaines réserves. Nous devons donc déléguer une partie de nos travaux de terrain, notamment le recueil d’informations. Pour cela, nous n’avions pas de protocole et avons dû faire preuve d’imagination pour nous adapter en recrutant des enquêteurs du cru, qui ont une connaissance fine du milieu dans lequel on va les envoyer. Il faut choisir des gens qui puissent parler à tout le monde au sein des villages tirés au sort pour être des lieux d’enquête. Nous les formons durant environ dix jours afin qu’ils collectent au mieux les informations qui nous sont nécessaires.

Techniquement, comment s’y prennent vos enquêteurs ?

Evidemment ils ne partent pas dans les villages avec des tablettes, mais avec des formulaires papier et des crayons. A l’ancienne, donc ! Ce qui nous oblige à intégrer le risque qu’une partie des questionnaires ne soit pas exploitable. De plus en plus souvent, nous essayons aussi de travailler avec les ONG, car les chercheurs et les humanitaires sont complémentaires. Sachant que l’IRD attache bien sûr une grande importance au travail avec les collègues des universités pour mener des études dans ces zones.

Et comment font les autres organismes de recherche avec lesquels vous échangez ?

Les autres instituts de recherche français doivent demander l’avis de l’ambassade pour se rendre en zone orange. Ensuite, ils y ajoutent l’avis de leur fonctionnaire sécurité défense (FSD) en interne, parfois plus contraignant que celui de l’ambassade. Mais, pour les zones rouges maliennes, nous sommes la seule institution publique française à y mener des recherches, sachant que l’Agence française de développement (AFD) travaille, elle, avec la force « Barkhane » pour monter des projets de développement dans le sillage de l’action militaire. Donc là, leurs déplacements en zone rouge sont pris en charge par les moyens des militaires de « Barkhane ». Mais ils n’y font pas de recherche stricto sensu.

Les ONG ne peuvent pas vous aider ?

La plupart du temps, elles délèguent elles aussi en zone rouge à des relais locaux.

La dégradation récente de la situation sécuritaire du Sahel, très documentée, a-t-elle un impact mesurable sur la santé des populations ?

Nous observons effectivement depuis longtemps que les crises exacerbent les problèmes de santé. Par exemple : quand les populations se déplacent, le risque de malnutrition croît fortement.