Projection publique le 10 juin 2018 à Accra du documentaire sur la corruption dans le football ghanéen, « Number 12 », du journaliste au visage masqué Anas. / CRISTINA ALDEHUELA / AFP

Au Ghana, le football est une véritable religion. Le dimanche, après la messe, les terrains vagues se couvrent d’aficionados du ballon rond. Et ceux qui ne chaussent pas les crampons ont toute chance de se retrouver dans les bars d’Accra ou entre amis pour discuter des matchs de la veille.

Mais cette ferveur orientée vers les compétitions européennes masque le désenchantement du public ghanéen envers son équipe nationale, les Black Stars, et la ligue locale. Un désamour qui remonte au 6 juin 2018. Ce jour-là, le journaliste Anas Aremeyaw Anas sort son dernier documentaire d’investigation qui porte sur la corruption dans le milieu du football ghanéen. Intitulé Number 12, ce film de près de deux heures montre joueurs, arbitres et officiels accepter des pots-de-vin pouvant atteindre plusieurs milliers de cédis pour arranger certaines rencontres (1 000 cédis équivalent à 175 euros). Un coup de tonnerre dans le ciel éternellement bleu du pays. Le président de l’Association ghanéenne de football est démis de ses fonctions par la Fédération internationale de football (FIFA) et huit arbitres en sont bannis à vie.

Le milieu a beau avoir été « nettoyé », un an plus tard, la plaie reste à vif. « J’ai été vraiment blessé quand j’ai vu le documentaire », témoigne Roland Asaiu, 36 ans, un passionné qui vit à Lapaz, un quartier populaire du nord de la capitale. « Cela veut dire que quand j’étais au stade, et que je criais pour soutenir mon équipe, les matchs étaient arrangés », poursuit celui qui se dit durablement « dégoûté » d’avoir été berné.

Un avion et 4 millions de dollars de primes

Attablé à un bar, un maillot aux couleurs des Reds sur le dos, Roland Asaiu suit avec attention le match du jour du championnet d’Angleterre (Premier League) opposant « son » club, Liverpool, à Cardiff. « Maintenant, je préfère suivre les compétitions européennes. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup moins de corruption qu’au Ghana », souligne-t-il. Va-t-il soutenir l’équipe nationale lors de la prochaine Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui se tiendra à partir du 21 juin en Egypte ? « Je vais regarder la compétition, mais cela va prendre du temps avant que je fasse à nouveau confiance aux Black Stars », estime-t-il. Isaac Kwame Arkin, qui suit également la rencontre à la télévision, se montre plus sévère encore envers l’équipe nationale du Ghana : « Je ne les supporte même plus ! » « Je suis ouvrier dans le bâtiment, poursuit-il, et j’ai parfois du mal à joindre les deux bouts à la fin du mois et cela me révolte de voir des footballeurs accepter des pots-de-vin de plusieurs milliers de cédis. »

Pour le journaliste Nuhu Adams, spécialiste du football africain, le désamour qui touche l’équipe nationale remonte à plus loin que 2018 : « Il y a toujours eu au sein de la population l’idée que la corruption touchait le football ghanéen. C’était déjà vrai avant les révélations d’Anas, mais la différence, c’est que les gens continuaient de soutenir l’équipe. » Pour ce spécialiste, la bascule a lieu en 2014, durant la Coupe du monde au Brésil. « Lors de cette compétition, un avion a été affrété pour transporter 4 millions de dollars de primes aux joueurs qui avaient menacé de boycotter l’entraînement avant leur match contre le Portugal. A ce moment-là, de nombreux fans ont été abattus par ce comportement et ont décidé de ne plus soutenir les Blacks Stars », avance-t-il.

Projection publique le 10 juin 2018 à Accra du documentaire sur la corruption dans le football ghanéen, « Number 12 », du journaliste au visage masqué Anas. / CRISTINA ALDEHUELA / AFP

Au classement FIFA, le Ghana pointe désormais à la 51e place, après avoir atteint la 16e en 2010, année où le pays avait réussi à se hisser en quart de finale de la Coupe du monde. Nuhu Adams estime que le soutien des Ghanéens envers leur équipe nationale pourrait rebondir en cas de victoire à la prochaine CAN de juin. « Mais cela va être très difficile, la dernière fois que l’équipe a remporté la compétition, c’était en 1982 en Libye », se souvient Roland Asaiu. Il y a trente-sept ans.