La couverture du livre « Le Préraphaélisme », d’Aurélie Petiot. / EDITIONS CITADELLES & MAZENOD / PRINTEMPS 2019

Intitulé Le Préraphaélisme, le livre d’Aurélie Petiot (Citadelles & Mazenod, 2019) se présente comme une synthèse des nombreux textes, monographies, articles et catalogues d’exposition produits récemment par des spécialistes anglophones de ce mouvement protéiforme. « J’ai souhaité donner accès à un lectorat français aux travaux qui permettent ainsi de saisir des aspects moins connus ici du préraphaélisme, comme la dimension sociale de leurs œuvres, et une introduction au mouvement décoratif qui en découle », confie l’auteure, maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université Paris-Nanterre.

Comment peut-on définir les préraphaélites ?

Les déclarations de la confrérie préraphaélite, formée en 1848 et composée à l’origine de sept artistes, permettent de saisir quelques traits principaux qui évolueront rapidement, en fonction des influences des membres fondateurs mais aussi de l’inclusion de nouveaux artistes des générations suivantes. Son esthétique est d’abord fondée sur un trait clair et précis : l’outline, qui délimite les contours.

Elle s’appuie également sur une observation précise et fidèle de la nature, qu’il s’agisse des éléments botaniques, mais également des traits des personnages figurant dans les tableaux. Un attrait commun, ancré fortement dans la période victorienne, est celui pour les sujets d’inspiration médiévale, souvent également repris dans la littérature romantique qu’admirent les préraphaélites.

Edward Burne-Jones : « Praising Angel » [« Ange musicien »], 1902, vitrail réalisé par Morris & Co.Walthamstow (Londres). William Morris Gallery. / WILLIAM MORRIS GALLERY, LONDON BOROUGH OF WALTHAM FOREST

En quoi consiste principalement son esthétique ? Et quels furent ses principaux sujets de représentation ?

La plupart des œuvres de cette époque présente au spectateur de nombreux symboles à déchiffrer, porteurs d’un message aux multiples lectures possibles : historique, mais aussi moral, et souvent social. Mais le mouvement évolue au gré des rencontres et des voyages des artistes. Dès 1860, une nouvelle vague, avec à sa tête Dante Gabriel Rossetti, fait évoluer le préraphaélisme vers ces œuvres que le public français connaît, celles qui représentent des jeunes femmes entourées de fleurs, à l’aspect davantage décoratif, utilisant la symbolique florale et des techniques davantage inspirées de la renaissance italienne.

Edward Burne-Jones produit également des œuvres, comme certains de ses collègues, inspirées de la littérature médiévale ou mythologique, mais situées dans un décor qui peut être davantage rattaché à celui de la fantasy. Ces œuvres, souvent énigmatiques, demandent des spectateurs qu’ils en cherchent le sens seul, sans aide du peintre qui refuse par exemple de commenter la signification de son Escalier d’or.

Ce mouvement marqua fortement les arts visuels mais aussi la littérature…

Le rapport texte image est au cœur d’une grande partie de la production préraphaélite. Le journal éphémère The Germ, lancé lors de la fondation du mouvement en 1848, publiait des textes, théoriques ou poèmes, notamment ceux de la poétesse Christina Rossetti, sœur du peintre. De nombreux sujets peints par les artistes étaient inspirés de la mythologie et de sa réécriture par les auteurs romantiques britanniques.

Il est donc naturel qu’en retour, la production préraphaélite influença la littérature, et entre autres les écrivains symbolistes français et belges de la fin du XIXe siècle. Verlaine par exemple écrit Monna Rosa (1896), poème hommage au tableau éponyme de Rossetti ; Huysmans crée Des Esseintes, le personnage d’A rebours, épris de la production préraphaélite… La passion des écrivains symbolistes pour le mouvement inspire ensuite les peintres tels que Gustave Moreau ou Fernand Khnopff, touchés par la beauté énigmatique des femmes préraphaélites.

Eleanor Fortescue Brickdale : « The Pale Complexion of True Love » [« La Pâleur du véritable amour »], 1899, huile sur toile, 71,4 x 91,8 cm. Collection particulière. / CHRISTIE’S IMAGES, LONDON / SCALA FLORENCE

Quel fût le rôle des femmes au sein de ce mouvement, et en quoi furent-elles actives ?

Trop souvent considérées uniquement comme des muses, les artistes femmes du préraphaélisme furent souvent freinées par un système qui ne leur accordait pas les mêmes structures en matière d’éducation, d’exposition et de vente que celles dont bénéficiaient leurs collègues masculins. Femmes, sœurs ou proches des artistes du cercle préraphaélite, elles forment d’abord la grammaire esthétique du mouvement, en prêtant leurs traits aux portraits et aux œuvres.

Mais leur contribution artistique a trop longtemps été négligée. Autodidactes comme Elisabeth Siddal, ou ayant bénéficié d’une éducation plus poussée comme Barbara Bodichon, ces artistes font partie intégrante du préraphaélisme. Les rares œuvres qui nous sont parvenues révèlent à quel point les interactions entre artistes hommes et artistes femmes durent être vivaces, tant au niveau de la technique que de la composition.

Ce sont d’ailleurs les artistes femmes qui perpétuent l’esthétique préraphaélite au-delà du XIXe siècle. Redécouvertes dans les années 1980 grâce au travail d’historiennes de l’art comme Jan Marsh, Griselda Pollock et Linda Nochlin, elles seront l’objet d’une exposition à la National Portrait Gallery (Londres), à l’automne 2019.

Quelles sont les répercussions du préraphaélisme sur les arts du XXe siècle ?

Dès les années 1860, les artistes de la deuxième vague du préraphaélisme, Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones et William Morris, pensent le décor comme œuvre d’art à part entière. Sous l’impulsion de ces artistes et en réaction à la révolution industrielle galopante, qui standardise la production d’objets dits décoratifs et déshumanise les ouvriers qui les produisent, naît le mouvement Arts and Crafts, qui redonne une place prépondérante à l’artisanat.

La conception d’une œuvre fidèle à la nature, lisible et utile au cœur de la production préraphaélite est également traduite dans les arts décoratifs, où forme et fonction sont pensées ensemble. La stylisation de motifs végétaux et l’adoption d’un vocabulaire géométrique, mais aussi l’idéal éducatif, par l’atelier, influenceront l’Art nouveau et l’Art déco ainsi que le Bauhaus.

Edward Burne-Jones : « The Mirror of Venus » [« Le Miroir de Vénus »],1877, huile sur toile, 120 x 200 cm. Lisbonne, Museu Calouste Gulbekian. / CALOUSTE GULBENKIAN MUSEUM / SCALA, FLORENCE

Et sur l’art contemporain ?

Au XXIe siècle, ces mêmes motifs sont repris par des artistes contemporains tels que Kehinde Wiley ou encore David Mabb. Les œuvres des préraphaélites, passées dans la culture populaire, sont citées dans les films de Hitchcock ou encore récemment dans un clip de la chanteuse Christine and the Queens.

C’est donc une esthétique qui perdure, et qui est sans cesse réadaptée face à un monde qui s’accélère encore davantage que sous la révolution industrielle. Arts décoratifs et peintures préraphaélites semblent pouvoir fournir une échappatoire, par la profusion de motifs floraux et l’univers onirique de ces œuvres, ainsi que par le ralentissement et la valeur accordée à la production collaborative d’un objet utile.