Vue d’artiste du futur centre financier en banlieue du Caire, où la nouvelle capitale, en mars 2019, est en cours de construction. / PEDRO COSTA GOMES / AFP

Chronique. Il faut se pencher avec minutie sur le détail des investissements chinois à l’étranger pour tenter de comprendre où va le vent. Alors que la Chine s’englue dans une guerre économique sans fin avec les Etats-Unis et qu’elle annonce à grand renfort de propagande et de sommets internationaux une nouvelle enveloppe pour financer ses routes de la soie, les algorithmes du China Tracker de l’American Entreprise Institute montrent clairement dans quel sens vont les investissements de l’Empire du milieu.

En 2018, les investissements de la Chine hors de ses frontières ont baissé de 110 milliards de dollars (98,5 milliards d’euros) par rapport à l’année précédente, ramenant le total des investissements de 2018 au niveau de ceux de 2014-2015. Le nombre de pays membres des « nouvelles routes de la soie » a beau augmenter chaque année, le flux d’investissements est resté stable avec même une baisse significative au dernier trimestre 2018.

Une baisse générale, sauf pour une région : l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient qui s’impose, selon les termes du chercheur Afshin Molavi de l’Institut John Hokins aux Etats-Unis, comme le partenaire clef « géo-économique » de la Chine.

En 2018, la région MENA (pour Middle Est and North Africa) est devenue la deuxième zone dans laquelle investit Pékin, juste derrière l’Union européenne, avec 28,11 milliards de dollars. On parle là des investissements directs hors « routes de la soie ». A titre de comparaison, l’Afrique subsaharienne a reçu, en 2018 toujours, 21,34 milliards de dollars d’investissements chinois. En trois ans, la progression de la région MENA est spectaculaire. Il s’agit pour l’essentiel d’investissements dans les infrastructures via les grands groupes d’Etat chinois. Les trois quarts sont allés à l’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Trois pays qui font partie de ce que les économistes appellent le « club des 20 milliards », c’est-à-dire les pays ayant reçu plus de 20 milliards de dollars d’investissements chinois ces quinze dernières années. A noter également dans ce club la présence de l’Iran et de l’Algérie.

« Club des 20 milliards »

En Egypte, c’est surtout la construction de la nouvelle et ambitieuse capitale qui concentre les investissements. Ce sont en effet les entreprises chinoises qui bâtissent cette ville nouvelle de plus de 6 000 hectares coûtant 58 milliards de dollars. C’est la Chine qui en tire l’essentiel des bénéfices avec la construction d’un réseau ferré entre Le Caire et cette nouvelle capitale et la construction du quartier des affaires par China State Construction Engineering Corp (CSCEC), soit 21 gratte-ciel, dont le plus haut d’Afrique, qui comptera 85 étages. Un projet aussi stratégique pour l’Egypte que pour la Chine qui souhaite conforter son rôle de bâtisseur du continent. Une zone économique spéciale autour du canal de Suez va compléter ce pharaonique projet sino-égyptien.

Car Pékin a évidemment compris l’importance stratégique de cette zone à la fois comme base pour exporter ses marchandises via le port de Dubai et le canal de Suez, mais surtout pour ses importations de pétrole et de gaz naturel. Les importations chinoises augmentent à un rythme régulier depuis cinq ans dépassant de loin maintenant la consommation américaine, et rien ne devrait remettre en cause cette boulimie d’or noir venu des pays du Golfe et de l’Afrique. La dépendance de la zone MENA à son principal client chinois expliquant en retour l’importance des investissements chinois dans les infrastructures régionales.

Afshin Molavi estime que les exportations d’hydrocarbures en provenance de la région MENA comme de l’ensemble de l’Afrique vont encore croître vers la Chine alors qu’elles diminuent vers les Etats-Unis et l’Europe. La géopolitique du pétrole continue d’aiguiller les investissements chinois vers le continent africain comme dans le Golfe. A l’échelle mondiale, ces investissements sont cinq fois plus importants dans le secteur de l’énergie que dans celui de l’agriculture et vingt fois plus que dans celui de la santé. Deux secteurs, dont l’Afrique notamment, a pourtant cruellement besoin.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.