Préparatifs du 72e Festival de Cannes, le 12 mai. / REGIS DUVIGNAU / REUTERS

Editorial du « Monde ». A la veille de l’ouverture du 72e Festival de Cannes, le président du jury, le cinéaste mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu, dans un entretien au Monde, demandait : « Combien, parmi les films que nous allons voir, seront exploités massivement en salle, en France, aux Etats-Unis, au Mexique ? Dix pour cent, avec un peu de chance. » C’est vrai pour les Etats-Unis, le Mexique, pas pour la France.

Chaque semaine, une vingtaine de nouveaux titres y sortent en salle, dont la moitié produits en France. Nombre d’entre eux sombrent sans laisser de trace, mais autant trouvent le chemin du public, et pas seulement dans les grandes villes, grâce à un réseau de salles unique au monde, puisqu’il permet aussi bien à Une affaire de famille, la Palme d’or japonaise de 2018, qu’aux Avengers d’atteindre le grand public.

Cette diversité de l’offre repose en partie sur la pluralité de la production française, de Luc Besson à Bruno Dumont. Or celle-ci est remise en cause. Le financement des films est assuré par les chaînes de télévision, publiques ou privées, qui doivent investir dans le septième art au prorata de leur chiffre d’affaires. Les difficultés du principal bailleur de fonds du cinéma français, Canal+, ont fait drastiquement chuter la contribution globale.

Quant aux nouveaux diffuseurs du cinéma, les plates-formes de streaming, il faudra beaucoup d’efforts au niveau européen pour obtenir de Netflix ou d’Amazon qu’ils contribuent aux systèmes de soutien public à la production.

L’illusion d’une profitabilité à l’américaine

En attendant, le budget moyen des films de long-métrage ne cesse de baisser depuis dix ans, pendant que leur nombre continue de croître. Trois cents films ont ainsi été produits dans l’Hexagone en 2018. Cette inflation entraîne des appels au malthusianisme. « Je trouve qu’on tourne trop de films aujourd’hui, estimait ainsi Catherine Deneuve dans Le Monde du 23 avril. Il y a en parallèle moins d’exigence dans l’écriture. Beaucoup de films qui sortent en salle n’y ont pas forcément leur place. » C’était déjà l’antienne de François Truffaut en 1956, alors que la production française ne dépassait pas les 200 longs-métrages. Mais, à moins d’être Disney ou Fox et d’avoir patiemment mis au point, à coups de milliards de dollars, des franchises à l’attrait inoxydable pour le plus grand nombre, les producteurs de cinéma n’ont jamais été assurés de la rentabilité de leurs investissements.

Face à l’affaiblissement de la symbiose public-privé qui fait vivre le cinéma français depuis 1945, il faut bien sûr trouver de nouvelles sources de financement, notamment auprès du secteur privé. C’est ce que préconise le rapport rédigé par le producteur Dominique Boutonnat en prônant une mue en cinq ans du cinéma français vers plus de transparence et moins de complexité pour attirer de nouveaux investisseurs.

Reste que le rêve d’une industrie cinématographique française qui tendrait vers une profitabilité à l’américaine est un but illusoire, qui masque la vraie nécessité : préserver et stimuler la création et sa diffusion la plus large. La course à la rentabilité, comme, hier, la course à l’audience des chaînes de télévision, bride l’originalité et l’innovation. Face à la puissance financière et industrielle des majors hollywoodiennes, studios ou plates-formes, la seule chance de survie du cinéma français consiste à s’appuyer sur une politique élaborée à la fois par les producteurs et les créateurs d’une part, la puissance publique d’autre part, même si le privé doit jouer un rôle plus important.