C’est un appel au rassemblement autour d’un objectif commun : dénoncer et lutter contre les violences policières. Lors d’une conférence de presse organisée mercredi 22 mai à l’initiative du collectif de défense des jeunes du Mantois, sa porte-parole, Yessa Belkhodja, a appelé à la « solidarité la plus large ».

« Depuis novembre dernier, la violence a traversé le périph’, a-t-elle lancé. Un certain pan de la population française a découvert la réalité des violences policières (…) désormais deux pans de la société se font face à face sans jamais se regarder, (…) il serait inconscient de ne pas lier nos combats (…) à un moment, tous les collectifs et toutes les forces syndicales vont devoir se rejoindre. »

Yessa Belkhodja parle au nom des 151 jeunes interpellés le 6 novembre 2018 à Mantes-La-Jolie (Yvelines), dans le quartier populaire du Val-Fourré. Les images avaient frappé les esprits et suscité une vive polémique. Sur la vidéo, filmée par un agent des forces de l’ordre et largement relayée sur les réseaux sociaux le soir même, on les voyait alignés en rang, en silence, genoux à terre et mains sur la tête, encadrés par des policiers casqués, armés de matraques et de boucliers. « Voilà une classe qui se tient sage », pouvait-on entendre l’un d’eux commenter.

A Mantes-la-Jolie, des images choquantes de lycéens interpellés par la police
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Certains fonctionnaires avaient admis en « off » que les images étaient difficiles à voir et que les commentaires du fonctionnaire étaient déplacés. Mais beaucoup d’entre eux justifiaient la méthode employée par l’aspect hors norme de l’interpellation. « D’un côté, vous aviez 150 personnes et, de l’autre, seulement quelques policiers, expliquait alors au Monde un officier. Si vous ne pouvez pas menotter tout le monde, la seule façon de ne prendre aucun risque, pour eux comme pour nous, c’est de les mettre ainsi mains en en évidence. » Les syndicats de police avaient, de leur côté, appelé à prendre en compte le contexte « très violent » des échauffourées qui s’étaient déroulées les trois jours précédents.

« Pas de faute », selon l’IGPN

Le 16 mai 2019, la patronne de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), Brigitte Julien, a dévoilé les conclusions de l’enquête administrative menée par la police des polices. Verdict : « pas de faute » commise par les forces de l’ordre ni de « comportements déviants ». Depuis, le Collectif de défense des jeunes du Mantois, qui rassemble les familles des jeunes interpellés et leurs soutiens, ne décolère pas et « reste mobilisé ».

Dans un communiqué, il s’est empressé de dénoncer « une enquête délibérément lacunaire puisque l’IGPN n’a pas jugé bon d’entendre les enfants victimes ou les témoins avant de tirer ses conclusions » et a souligné la récurrence de « ces agissements iniques » qui « concernent tous les secteurs du mouvement social et de la société civile, tant ils condensent la violence des pouvoirs publics contre sa propre population, particulièrement depuis décembre 2018, tant ils rappellent la menace réelle qui plane sur le simple droit de manifester ».

Mercredi, la conférence de presse se déroulait dans les locaux d’Info’Com CGT (la branche dédiée aux salariés de l’information et de la communication) en présence de plusieurs représentants syndicaux. « Nos camarades des quartiers populaires s’en prennent plein la gueule tous les jours et personne n’est jamais sanctionné, a déclaré, à cette occasion, Louis Boyard, président de l’UNL (Union nationale lycéenne), le premier à porter plainte après les faits. Là, il faut gagner. »

« Ces enfants ont été humiliés gratuitement », a dénoncé Aurélia Sarrasin, du SNES-FSU (syndicat national des enseignants du second degré). « Cette répression est déjà à l’œuvre depuis longtemps dans les quartiers », a rappelé Murielle Guilbert, secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires. « Il ne peut y avoir d’impunité à humilier ces enfants », s’est insurgée une représentante d’Info’Com CGT.

« Ce qu’on entend est bien plus grave que ce que l’on peut voir dans la vidéo »

Un collège de cinq avocats – dont Emmanuel Tordjman, l’un des deux conseils des familles de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés à Clichy-sous-Bois (93) en 2005, et Raphaël Kempf, l’un des avocats des “gilets jaunes” – vient de se constituer pour défendre la vingtaine de familles qui a porté plainte. Parallèlement à l’enquête administrative, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Versailles en février.

Elle a depuis été dépaysée à Nanterre (Hauts-de-Seine) et confié à la police des polices, qui a, pour l’instant, auditionné une poignée d’adolescents interpellés. « Ce qu’on entend est bien plus grave que ce que l’on peut voir dans la vidéo », affirme Me Arié Alimi, qui a déposé plainte avec constitution de partie le 6 mai pour forcer la saisie d’un juge d’instruction et faire accélérer l’enquête. L’avocat évoque le témoignage d’un lycéen affirmant avoir reçu des coups de matraque alors qu’il était couché au sol.

Présent à la conférence de presse, Yasser, 17 ans, a décrit les conditions de sa garde à vue : « On était quinze dans une cellule prévue pour cinq. (…) Ils [les policiers] nous appelaient en disant : “eh l’arabe”, “eh le noir’. La policière de garde a dit : “on se croirait au zoo de Thoiry.” » « La valeur de l’égalité, elle n’est pas respectée », a-t-il conclu. Sa mère, Rachida, a réagi : « Ces récits, en banlieue, ils sont presque banalisés, il y a comme une résignation. Et à chaque fois, les policiers s’en sortent impunis. Nos enfants ne savent plus ce que c’est que d’être traités comme des citoyens français normaux. Il faut que ce cercle infernal s’arrête. »