L’accusation d’espionnage portée à Assange est une menace plus globale contre la presse, s’inquiètent juristes et associations de défense des libertés. / MATT DUNHAM / AP

Sur une image, quatre cercles, représentant chacun un célèbre roman dystopique, et une critique des sociétés totalitaires : 1984, Fahrenheit 451, Le Meilleur des Mondes, La Servante écarlate. En leur centre, là où les cercles se recoupent, une mention : « Vous êtes ici ».

L’illustration, partagée par le lanceur d’alerte Edward Snowden dans la nuit de jeudi 23 à vendredi 24 mai, en dit long sur les inquiétudes des défenseurs des libertés après la nouvelle vague inédite d’accusations contre Julian Assange, désormais poursuivi aux Etats-Unis pour infraction à l’Espionage Act.

La procédure, rare et juridiquement hasardeuse, pose directement la question de la liberté de la presse, pourtant protégée aux Etats-Unis par le premier amendement. Car ce qu’il est reproché au fondateur de WikiLeaks, à savoir recueillir et publier des documents secrets, est ce que font les médias. D’ailleurs, en 2010, le New York Times, le Guardian, Le Monde ou encore Der Spiegel avaient collaboré avec la plate-forme et publié les documents qui valent aujourd’hui à Julian Assange d’être accusé d’espionnage.

Après l’annonce de ces nouvelles charges, les associations de défense des libertés ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme. « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement entame une procédure criminelle contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques. C’est une attaque directe contre le premier amendement et une escalade inouïe des attaques de l’administration Trump contre le journalisme », s’est inquiétée l’Union américaine pour les libertés civiles (en anglais American Civil Liberties Union, ACLU), une puissante association de défense des droits des citoyens.

Même avis de la part de la Freedom of the Press Foundation, ONG de défense de la liberté de la presse, qui évoque  « un développement réellement choquant », qui dépasse le simple cadre de WikiLeaks. « Peu importe votre avis personnel sur Assange, ces nouvelles inculpations contre lui sont sans précédent, effrayantes, et un coup porté au cœur du droit fondamental à la liberté de la presse ». Son directeur exécutif, Trevor Timm, évoque même « la menace la plus significative et la plus terrifiante contre le premier amendement au XXIe siècle ».

Des charges qui pourraient s’appliquer aux journalistes

Plusieurs juristes ont également relevé le danger que représente cette procédure. « Indépendamment de ce que vous pensez de WikiLeaks ou Assange, des poursuites au nom de l’Espionage Act ne peuvent que mal tourner pour la liberté de la presse dans ce pays », corrobore David Kaye, professeur de droit à l’université d’Irvine en Californie et rapporteur spécial à l’ONU chargé de la promotion et la protection des libertés d’opinion et d’expression.

Dans le Washington Post, Floyd Abrams, avocat spécialiste du droit de la presse, sépare Julian Assange, un « prévenu singulièrement peu attirant en de nombreux points », de l’inculpation elle-même, qui « pose effectivement des problèmes profonds, mençant le premier amendement, pour les journalistes couvrant la défense nationale, les activités de renseignement, etc. »

« Les charges reposent quasi exclusivement sur des activités que mènent au quotidien les journalistes d’investigation. Cette inculpation est une attaque frontale à la liberté de la presse », a réagi dans les colonnes du New York Times Jameel Jaffer, expert du premier amendement à l’université de Columbia. Et ce même New York Times de préciser que comme tous les médias s’étant procurés ces informations confidentielles, il pourrait être poursuivi de la même manière que Julian Assange, en vertu de cette application inédite de l’Espionage Act.

« D’un point de vue factuel, il y a un monde d’écart entre ce dont Assange est accusé et ce que les journalistes professionnels font. Le point compliqué est que la théorie sur laquelle s’appuie son inculpation ne fait pas tellement de distinction, relève dans le Washington Post Steve Vladeck, professeur à l’université de droit du Texas, la School of Law. Il n’y a pas besoin d’éprouver de la sympathie pour Assange pour s’inquiéter de cet espèce de précédent, par lequel poursuivre des tiers pour la publication d’informations classifiées deviendrait routinier, même si illégal. »

Pour le célèbre lanceur d’alerte Edward Snowden, qui s’est exprimé sur son compte Twitter, « le ministère de la justice américain vient de déclarer la guerre – pas à WikiLeaks, mais au journalisme lui-même. Julian Assange n’est plus le cœur du problème. Ce procès va décider du futur des médias ».