« C’est une majorité océanienne et c’est historique », a lancé Roch Wamytan, vendredi 24 mai à Nouméa, à l’issue de son élection à la présidence du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. S’il a situé sa victoire sur un registre plus identitaire que politique, c’est que cette figure du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) la doit à un parti de Wallisiens et de Futuniens, l’Eveil océanien, plutôt considéré comme pro-français. Mais, contre toute attente, les trois élus de cette formation, créée en mars, ont porté leurs suffrages sur la candidature de Roch Wamytan, présentée par les indépendantistes, qui détiennent 26 sièges sur 54 depuis les élections provinciales du 12 mai.

Le chef indépendantiste de la tribu de Saint-Louis, âgé de 68 ans, a ainsi récolté au deuxième tour de scrutin une majorité absolue de 29 voix contre 25 pour Magali Manuohalalo, candidate commune des groupes loyalistes, l’Avenir en confiance (proche de LR) et de Calédonie ensemble (centre droit).

« Il est temps que les Océaniens, qui entretiennent des échanges millénaires mais qui ont été séparés par les frontières de la colonisation et artificiellement opposés, se retrouvent aujourd’hui autour de valeurs ancestrales et qu’ils puissent les partager avec toutes les populations qui vivent dans ce pays océanien, leur pays d’adoption », a affirmé Roch Wamytan dans son discours d’investiture.

Dans un silence de cathédrale et face à des élus loyalistes assommés, ce signataire de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 a assuré vouloir « présider cette institution avec les valeurs kanaks, océaniennes mais aussi républicaines et chrétiennes ». Il n’a pas manqué de rappeler que « ce mandat va clôturer solennellement le processus d’émancipation et de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie » inscrit dans l’accord de Nouméa.

« Un nouveau modèle, moins inégalitaire »

Milakulo Tukumuli, le chef de file de l’Eveil océanien, docteur en mathématiques, a justifié son vote par une volonté d’« arrêter le clivage entre partisans et opposants à l’indépendance ». « Travailler avec les indépendantistes, ce n’est pas travailler pour l’indépendance », a confié l’élu, dont la communauté, forte de quelque 35 000 âmes, pèse près de 10 % du corps électoral. En phase avec les indépendantistes sur de nombreux sujets sociaux et économiques, les membres de l’Eveil océanien souhaitent « un nouveau modèle, moins inégalitaire ».

Faiseur de roi avec trois élus, à même de faire basculer la majorité dans le camp indépendantiste ou dans le camp loyaliste, le jeune parti se revendique plutôt « faiseur de démocratie ». Son choix de vendredi n’en signe pas moins l’échec des tractations entreprises depuis une semaine par les Caïn et Abel de la droite calédonienne, l’Avenir en confiance et Calédonie ensemble, pour tenter de dégager une majorité opposée à l’indépendance.

Après une campagne pavoisée de tricolore, l’Avenir en confiance a largement battu son rival, jusqu’alors en position dominante dans le camp loyaliste, en remportant 20 sièges sur 40 à la province Sud et 18 sur 54 au Congrès. Le 17 mai, leur chef de file, Sonia Backès, a été élue présidente de la province Sud avec l’appui des voix de l’Eveil océanien qui, en retour mais en vain, espérait obtenir une des trois vice-présidences. Auparavant, les frères ennemis loyalistes s’étaient déjà écharpés sur une répartition équitable des responsabilités au sein des institutions.

« En trustant tous les postes de vice-présidence de la province Sud et en nous promettant une présidence du Congrès qu’il ne maîtrisait pas, l’Avenir en confiance a commis une faute politique dont on mesure aujourd’hui toutes les conséquences puisque l’Eveil océanien a fait élire Roch Wamytan. Je ne sais pas jusqu’où cette faute aura des répercussions », a cinglé Philippe Michel, chef du groupe Calédonie ensemble au Congrès, à qui avait été promise la présidence de l’institution.

« Trahison »

« L’Avenir en confiance a gagné les élections. On allait voir ce qu’on allait voir : créer un “choc de confiance” et purger l’indépendance. Les premiers résultats sont désormais engrangés : Kanaky est au pouvoir au Congrès et le sera demain au gouvernement. Ceux qui ont gagné ont oublié une règle politique de base : le premier devoir des vainqueurs, c’est de rassembler pour gouverner », a commenté sur sa page Facebook Philippe Gomès, le président dépité de Calédonie ensemble, en dénonçant « un comportement irresponsable et immature » de la part de l’Avenir en confiance.

Assurant avoir fait « des propositions généreuses » à l’Eveil océanien, Virginie Ruffenach, présidente du groupe de l’Avenir en confiance du Congrès, a dénoncé une « trahison ». Entourée de colistiers aux visages décomposés, elle a jugé « inenvisageable » qu’un gouvernement indépendantiste soit constitué. D’ici deux à trois semaines, un nouvel exécutif collégial va en effet être élu par le Congrès et, si les mêmes équilibres se maintiennent, il est fort probable que, pour la première fois, il soit présidé par un indépendantiste.

Le FLNKS occuperait alors une position cruciale alors qu’un deuxième référendum sur l’indépendance peut être organisé en 2020, puis si le « non » l’emportait à nouveau, un troisième en 2022. Lors du premier de ces scrutins, le 4 novembre 2018, les indépendantistes avaient perdu mais avec un score supérieur à toutes les prévisions (43,3 %). Espérant surfer sur cette dynamique, ils s’étaient fixé comme objectifs de « remporter le Congrès et le gouvernement, puis de dérouler la marche vers la pleine souveraineté ». L’avenir dira si les Wallisiens et les Futuniens, jusqu’alors fidèles au drapeau français, sont prêts ou non à leur emboîter le pas.