Editorial du « Monde ». Une ombre grandit sur l’Europe. Partout, des partis nationalistes et xénophobes progressent, en attaquant, non pas seulement la réalité de la construction lancée il y a plus de soixante ans, mais son idée même. Au pouvoir dans plusieurs pays, à leurs portes dans d’autres, leurs leaders affichent une alliance de façade et des programmes en trompe-l’œil qui ne peuvent guère entretenir d’illusions sur les conséquences de leur éventuelle victoire sur le continent : le démantèlement de l’Union et de ses valeurs communes, l’affaiblissement de chaque nation, rendue à son isolement, la remontée des risques de conflits dans toute l’Europe.

Sous nos yeux, la tragédie du Brexit, déclenchée en grande partie par quelques-uns de ces activistes racistes et violents, est un avertissement brutal sur la vitesse à laquelle les repères d’une société peuvent se perdre, les systèmes politiques les plus anciens peuvent se défaire.

Faire face aux enjeux de ­l’époque

Pour l’heure, l’ombre de ces partis porte davantage sur les scrutins nationaux que sur les élections européennes. Celles qui ont lieu cette fin de semaine – dimanche 26 mai en France – ne devraient pas se ­traduire par une prise de contrôle du Parlement de Strasbourg par les députés d’extrême droite. Elles n’en comportent pas moins le risque majeur d’accroître encore le désengagement d’électeurs pro-européens, déçus par la tournure prise par l’Union et perplexes sur l’utilité d’une Assemblée au fonctionnement peu compréhensible.

Comme toujours, cette abstention massive serait, en France, la meilleure alliée de la liste du Rassemblement national et de sa présidente, Marine Le Pen. Celle-ci a réussi, au cours de cette brève campagne, à remobiliser son électorat en camouflant ses insuffisances criantes de la prési­dentielle derrière un programme approximatif, en contradiction flagrante avec la réalité de l’inaction des parlementaires RN à Strasbourg.

Pour s’opposer à ces manipulations, les défenseurs de l’idée européenne n’ont qu’une ressource : voter. ­Voter pour l’une des nombreuses listes de démocrates convaincus, quelle que soit l’ampleur de leur déception et de leurs ­critiques sur les blocages actuels de l’UE. La coopération entre nations est le seul moyen de faire face aux enjeux de ­l’époque : dérèglements climatiques ; tensions croissantes avec les puissances chinoise, russe et américaine ; inégalités sociales et fiscales.

S’atteler à la reconstruction de l’idéal de l’Union

Il serait dommage que, dans l’esprit d’européens convaincus, les considérations nationales finissent par éclipser la dimension continentale de ce scrutin. C’est à Strasbourg que les résultats compteront : les élus, selon leur nombre, recomposeront de nouvelles alliances qui pourront, selon leur coloration, aider à réformer l’Europe et à lutter contre ses extrémistes. Le camp des européens convaincus aura la lourde tâche de s’atteler à la reconstruction de l’idéal de l’Union.

Car les électeurs des candidats nationalistes ne sont pas apparus par génération spontanée. Ils se sont détournés de la construction européenne à cause de ses choix politiques – primauté de l’économique sur le social – et de ses défauts d’écoute – déni du référendum de 2005 en France. Rien de tout cela n’est irrémédiable. De multiples propositions ont été formulées pour surmonter les égoïsmes des Etats, faire reculer le sentiment d’injustice et la crise de ­confiance majeure qui se sont encore manifestés en France à travers le mouvement des « gilets jaunes ». Nul n’a plus le monopole de l’Europe : il est grand temps d’accepter ces débats, qui permettront d’envisager l’avenir autrement que comme un rétrécissement nationaliste mortifère.

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