Préparation de la copie du manuscrit Voynich, à Burgos, Espagne, le 9 août 2016. / CESAR MANSO / AFP

Une nouvelle fois, le manuscrit Voynich s’est replié dans son silence. Alors que des générations de scientifiques se sont penchés sur ce texte sans jamais parvenir à en percer le mystère, le chercheur britannique Gerard Cheshire a publié, le 15 mai, un article dans lequel il affirme avoir enfin déchiffré ce texte aux illustrations intrigantes datant du XVe siècle, et dont la graphie n’a jamais été décodée. Mais M. Cheshire a aussitôt reçu de la part de ses collègues une volée de bois vert sur les réseaux sociaux, jusqu’à se voir retirer le soutien de son université.

Selon la thèse de M. Cheshire, le manuscrit ne serait rien d’autre qu’un ouvrage thérapeutique de référence et le seul texte qui nous soit parvenu dans une langue maintenant oubliée, qu’il nomme le « protoroman ». Le manuscrit aurait donc été composé, selon le chercheur, par une sœur dominicaine dans une forteresse de l’île italienne d’Ischia, au nord du golfe de Naples, à l’intention de la reine d’Espagne Marie de Castille.

Les multiples critiques lancées à l’encontre du chercheur dans les heures qui ont suivi la publication de ses travaux ont conduit l’université de Bristol, où il travaille, à en désavouer les conclusions. Aussi, le texte maudit, qui sommeille dans la bibliothèque de l’université Yale, aux Etats-Unis, et dont une version numérisée est en ligne, n’a décidément toujours pas commencé à livrer ses secrets.

Aspect étrangement familier

Au fil de ses 234 pages de 15 centimètres de large et de 23 centimètres de haut, l’ouvrage continue de poser de multiples questions qui demeurent sans réponse.

Que sont ces végétaux représentés sur le vélin du manuscrit et qui n’ont jamais été observés nulle part sur le globe ? Des signes du zodiaque y apparaissent, mais pourquoi sont-ils au nombre de dix et non pas de douze ?

A quoi correspondent les motifs cosmologiques incompréhensibles qui couvrent plusieurs pages du codex ? Que signifient ces images d’une procession de femmes nues évoluant dans des bassins d’eau verdâtre, liés les uns aux autres par une sorte de tuyauterie fabuleuse ressemblant à des intestins humains ?

Préparation de la copie du manuscript Voynich, Burgos, Espagne, le 9 août 2016. / CESAR MANSO / AFP

Et surtout, quel sens se cache dans les blancs d’une écriture manuscrite serrée, régulière et dont l’aspect étrangement familier n’a cessé de susciter les interrogations des spécialistes et a tenu en échec les plus grands cryptologues ?

Même Alan Turing, le mathématicien britannique de génie qui avait vaincu Enigma, la machine de chiffrement de l’Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale, a dû déclarer forfait face à ce texte resté impénétrable depuis qu’il a été tiré de l’oubli, il y a plus d’un siècle, en 1912.

Conspirationnisme

Cette année-là, le négociant polonais en livres anciens Wilfrid Voynich raconte avoir déniché le mystérieux texte dans un collège de jésuites italien, la villa Mondragone, près de Rome. Il s’agit d’un manuscrit anonyme et sans titre qui, pour l’usage de la postérité, prendra le nom de son découvreur. L’ouvrage relié est accompagné d’un addendum qui suggère que le livre a appartenu à l’empereur Rodolphe II de Habsbourg. M. Voynich, qui finira sa vie à New York, est convaincu que l’ouvrage a été écrit de la main de l’alchimiste anglais Roger Bacon. Par la suite, le manuscrit sera une source inépuisable de rêveries pour scientifiques confirmés et linguistes amateurs : ils croiront déceler, dans le silence de ses lettres mystérieuses, une vérité masquée qui ne sera souvent que l’écho de leurs propres obsessions.

Préparation de la copie du manuscript Voynich, Burgos, Espagne, le 9 août 2016. / CESAR MANSO / AFP

Un ingénieur turc en électricité et ses fils ont ainsi estimé après des recherches sommaires que le texte était en fait écrit en turc ancien. D’autres défendent l’idée qu’il s’agit d’un manuscrit en vieux gallois, ou en mandchou ; d’autres qu’il est écrit dans une langue germanique ou encore que c’est un texte en hébreu décrivant une technologie extraterrestre du futur.

En tout, des dizaines d’hypothèses plus ou moins farfelues, conspirationnistes à des degrés divers, continuent de s’affronter, informant davantage sur l’imaginaire et l’environnement idéologique de ceux qui les formulent que sur l’objet lui-même.

Réseaux sociaux et rigueur scientifique

Tous les ans ou presque, des théories plus sérieuses sur l’origine du texte se succèdent et se répondent avec régularité, par publications scientifiques interposées. En 2017, une étude signée par l’expert en manuscrits médiévaux Stephen Skinner a prêté au texte un auteur médiéval juif du nord de l’Italie. M. Skinner s’appuie notamment sur l’absence de symbolique chrétienne et sur les scènes de bains féminins qui font, selon lui, référence à des ablutions rituelles imposées dans le judaïsme orthodoxe aux femmes après leurs règles ou après un accouchement. Il a aussi cru reconnaître certains traits architecturaux typiques de l’Italie du nord dans la représentation d’un château qui figure dans un coin du manuscrit.

Préparation de la copie du manuscript Voynich, Burgos, Espagne, le 9 août 2016. / CESAR MANSO / AFP

C’est dans ce contexte de surenchère, liée à une volonté de la part des universités de mettre en avant ceux des travaux de leurs chercheurs qui seront les plus à même de susciter l’intérêt, que s’est inscrite la déclaration, le 15 mai, de l’université de Bristol au sujet de la trouvaille de M. Cheshire. L’annonce a aussitôt eu une résonance considérable dans le monde anglophone et au-delà.

A la temporalité des sites d’information a cependant rapidement succédé celle des réseaux sociaux, où les spécialistes n’hésitent plus à s’exprimer directement, à rebours de l’emballement des non-initiés. La médiéviste américaine Lisa Fagin Davis a notamment mis en doute l’existence même de cette langue « protoromane » que M. Cheshire avait cru découvrir.

En l’affirmant sur son compte Twitter, elle a attiré l’attention du Boston Globe, à qui elle a expliqué qu’« à partir du XVe siècle, il n’y a aucune preuve que qui que ce soit s’exprime en (…) “protoroman”. Toutes les langues romanes sont clairement développées à cette période. » Elle n’a pas été la seule à réagir très rapidement pour souligner les incohérences ou les faiblesses de ce travail, provoquant son retrait 48 heures après sa publication.

Archives : un article du 20 décembre 2000 : L'indéchiffrable manuscrit Voynich résiste toujours au décryptage