Judy Davis dans le rôle de la chef de police locale Emma James sur le tournage de "Mystery road" realisé par Rachel Perkins / © Bunya Productions and all3medi

ARTE - À LA DEMANDE. SÉRIE

D’abord, camper le décor. Le désert. Dans ce désert, un 4 × 4 abandonné. Un – en l’occurrence une, Emma James – flic dépêché sur les lieux. Un jeune homme (Marley, d’origine aborigène) a disparu ; il était accompagné de son meilleur ami qui, lui aussi, manque à l’appel. Ensuite, envoyer la musique. Genre western – un peu lent, un peu inquiétant. Ajouter à cela la chaleur, palpable – visible même, sur cette terre asséchée, voire vidée de ses ressources. Rajouter des témoins – pas très bavards dans le coin. Le coin ? Un ranch perdu quelque part en Australie. L’Australie qui n’a pas encore pansé toutes ses blessures comme on va le comprendre dès l’arrivée d’un inspecteur de police (Jay Swan).

Lui non plus ne parle pas beaucoup – il pourrait même, à première vue, être la caricature du shérif local avec jean, chemise et santiags. Sauf qu’il est père – et donc, a fortiori, moins solitaire que Lucky Luke. Sauf aussi qu’il n’était, a priori, pas fait pour être du côté des bons et des gentils puisqu’il est aborigène – et qu’on le lui fait bien comprendre. Et c’est sans doute ce statut d’exclu qui le rapproche, in fine, d’Emma, seule femme dans un monde d’hommes, et d’autant plus marginale qu’elle n’a pas eu d’enfants – ce que ne manque pas de gentiment lui rappeler son ex-mari. Quoi qu’il en soit, le couple qu’ils forment tous les deux fonctionne superbement bien, notamment grâce à la performance des deux acteurs.

Immensité à la beauté inquiétante

Formée au théâtre classique, auquel elle est toujours revenue, Judy Davis a tourné avec les plus grands : des frères Coen (Barton Fink) à David Cronenberg (Le Festin nu), en passant par Woody Allen (Maris et femmes, Harry dans tous ses états, Celebrity, To Rome with Love). Immense actrice, elle est parfaite en cow-girl solitaire, sillonnant à cheval, la soixantaine venue, le désert australien et donnant la réplique à la fois à son mari, Colin Friels (lequel incarne ici son frère), et à Aaron Pedersen qui joue Jay Swan, son acolyte – qui est devenu, depuis les deux films d’Ivan Sen dont la série est dérivée (Mystery Road et Goldstone), l’un des acteurs-phares de sa génération.

Mais il ne faudrait pas oublier que l’un des principaux personnages de ce film est, incontestablement, l’outback australien, cet arrière-pays désertique, qui garde la trace de son histoire, marquée par la colonisation et la ségrégation des Aborigènes. Cette immensité, à la beauté inquiétante (la terre y est d’une couleur ocre qui vire presque au rouge sang), est ici sublimement filmée par Rachel Perkins. Pour la réalisatrice, la réconciliation du pays avec son passé est nécessaire. Mais cette lecture « politique » de Mystery Road, aussi essentielle soit elle, n’entrave en rien ce qui reste une série policière, dont la tension est habilement maintenue par de nombreuses sous-intrigues (problèmes de drogue, d’abus sexuels), et campée par de très bons seconds rôles, mélange de vrais salauds et de petits délinquants minables dans ce patelin où les secrets sont légion et où, comme le dit l’un des personnages, « la merde finit toujours par vous rattraper ».

Mystery Road, série réalisée par Rachel Perkins. Avec Judy Davis et Aaron Pedersen. (Australie, 2018, 6 × 53 min). Sur Arte.tv à partir du 23 mai. Première diffusion sur Arte le 30 mai à 20.55.

www.arte.tv/fr/videos/RC-016696/mystery-road/