Têtard de xénope lisse. / MATTHIEU BERRONEAU / NATURIMAGES

Zoologie. Faire repousser un membre… La médecine caresse ce rêve depuis déjà longtemps. Puisque le foie repousse, que l’épiderme se régénère, que les os se réparent, pourquoi pas un doigt, voire tout un bras ? D’autant que certains animaux nous montrent l’exemple. L’axolotl mexicain et ses cousines salamandres aquatiques se sont taillé une jolie réputation sur ce terrain. Mais de nombreux mollusques, crustacés, lézards ou poissons disposent de la capacité de faire du neuf en l’absence du vieux.

Prenez les têtards. Il y a quelque vingt-cinq siècles, Aristote décrivait déjà la repousse de leur queue consécutive à une amputation. Mais ni le philosophe grec ni les générations de naturalistes qui l’ont suivi ne parvinrent à détailler les mécanismes précis de ce phénomène. Ce mystère, une équipe de l’université de Cambridge (Royaume-Uni), conduite par le Français Jérôme Jullien, vient d’en lever une partie, en mettant en évidence les cellules à l’origine du phénomène.

Nouvelle technique d’analyse génétique

Pour parvenir à ce résultat, publié dans la ­revue Science, jeudi 16 mai, les chercheurs de Cambridge ont bénéficié tout à la fois d’une nouvelle technique d’analyse génétique et d’une particularité propre à la grenouille ­xénope. La première se nomme séquençage par cellule unique. Elle permet d’analyser non plus seulement le génome d’une population de cellules – typiquement plusieurs centaines de milliers –, mais l’expression des ­gènes de chacune d’entre elles, et de définir les différents types cellulaires présents.

L’équipe britannique a ainsi analysé les cellules présentes au niveau de la blessure dans les jours suivant l’amputation et les a comparées à celles trouvées sur le reste de la queue. « Nous pensions découvrir un nouveau type cellulaire, mais c’étaient les mêmes », raconte Jérôme Jullien. Pour sortir de cette impasse apparente, les chercheurs ont profité de la spécificité du xénope : la queue de ses têtards repousse tout au long du processus de développement… sauf lorsqu’elle est coupée entre le 5et le 7jour suivant la fertilisation. « Nous avons donc pu comparer des têtards compétents et des têtards “incompétents” et découvert que, chez les seconds, il manquait un type cellulaire, poursuit le biologiste français. Il se trouve bien présent sur le côté de la queue, mais il ne migre pas vers le site d’amputation. »

L’orchestre peut-il jouer sans chef ?

Ces cellules d’organisation de la régénération (ROC), l’équipe en a alors suivi le comportement qu’elle a assimilé à celui d’un « chef d’orchestre ». En effet, les ROC sécrètent des facteurs de croissance qui eux-mêmes stimulent le développement de toutes les cellules nécessaires à la repousse de la queue. L’orchestre peut-il jouer sans chef ? L’équipe a fait disparaître les ROC – soit génétiquement, soit chirurgicalement – et constaté que la régénération s’interrompait. Nécessaires donc, mais sont-elles suffisantes ? Cette fois, les biologistes ont greffé des tissus contenant les fameuses cellules sur le dos d’un têtard. « Et on y a vu apparaître l’amorce d’une queue », raconte Jérôme Jullien.

Ces résultats novateurs se limitent-ils aux queues de têtards de xénope ? Jérôme Jullien, qui s’apprête à rejoindre l’Inserm, à Nantes, va se pencher sur d’autres organes de l’amphibien, comme les pattes, qui elles aussi peuvent repousser. Mais à la lecture de l’étude, Michalis Averof, de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (CNRS, ENS), spécialiste de la régénération des crustacés, estime qu’elle « fournit des idées à tester sur d’autres espèces, afin d’explorer quels mécanismes pourraient être similaires ».

D’autres espèces, dont la nôtre. « Bien sûr qu’on pense à la médecine régénérative, s’enthousiasme Jérôme Jullien. Plutôt que de transplanter un organe, obtenir des cellules qui organisent sa régénération, ça ne vous paraît pas prometteur ? » Le xénope, avenir de l’homme…