Les élections européennes 2019 constituent un tournant pour La France insoumise (LFI). Avec 7 % des voix, la liste menée par Manon Aubry, 29 ans, arrive en cinquième position, loin derrière le Rassemblement national (RN, 23 %), selon les estimations d’Ipsos-Sopra Steria pour Radio France et France Télévisions, La République en marche (LRM, 22 %), Les Républicains (LR, 8,5 %) et Europe-Ecologie Les Verts (12,5 %) qui finit à la troisième place. Ils font jeu égal avec le Parti socialiste.

En 2014, le Front de gauche, composé principalement du PCF et du Parti de gauche (PG, matrice de LFI), avait obtenu 6,61 % des voix. Dimanche, les « insoumis » n’ont donc pas fait mieux.

Revers

Ce résultat est un revers pour la formation mélenchoniste. L’objectif maintes fois répété était d’atteindre 11 % des voix, soit le score de LFI lors des élections législatives de 2017. Les « insoumis » en sont loin. Il va s’en dire que les mines étaient déconfites, dimanche soir, au Belushi’s, le café près de Gare du Nord à Paris, où LFI avait organisé sa soirée électorale.

Cet échec est d’abord celui d’une stratégie, celle de faire de ce scrutin un « référendum anti-Macron ». Pensé à l’été 2018, quand LFI jouissait de bons sondages et que le RN semblait en crise, ce mot d’ordre s’est finalement retourné contre ses concepteurs qui entendaient convaincre les nombreux abstentionnistes et profiter d’un « vote utile » contre le président de la République, sûrs de leur statut de « premier opposant ». Comble de tout, c’est le parti d’extrême droite qui a, in fine, profité du mécanisme du vote utile contre le chef de l’État puisqu’il était le mieux placé dans les sondages pour battre la liste emmenée par Nathalie Loiseau.

Crises à répétition

Il faut dire qu’en presque un an, LFI est passé par de nombreuses crises. La plus importante, qui aura durablement marqué les esprits, est celle de l’épisode rocambolesque des perquisitions, en octobre 2018, au siège de La France insoumise et du domicile de Jean-Luc Mélenchon. Tout le monde se souvient du député des Bouches-du-Rhône excédé, vociférant et bousculant des fonctionnaires. C’est à partir de là que l’érosion a commencé dans les sondages. Elle ne se stabilisera qu’au printemps suivant, sans jamais vraiment redécoller.

Par la suite, plusieurs départs scanderont l’année « insoumise ». A chaque fois, les démissionnaires remettront en cause le manque de démocratie interne, l’absence de structures où les décisions sont débattues et décidées de manière collégiale. Autant de micro-événements qui auront parasité la campagne de LFI.

Pendant un temps, les stratèges « insoumis » pensaient que le mouvement des « gilets jaunes » finirait par leur profiter. Selon eux, le mouvement horizontal et apartisan était la confirmation de leurs prédictions et de leurs idées autour du changement des institutions, du rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou encore de l’augmentation des salaires. Ils y voyaient aussi la confirmation de leurs méthodes populistes, qui entendent dépasser la gauche pour « fédérer le peuple ». Autant d’idées déjà présentes dans le livre de Jean-Luc Mélenchon L’Ere du peuple (Fayard, 2014) et lors de la campagne présidentielle de 2017. La pensée « insoumise » aurait donc infusé dans la population. Difficile de dire quelle proportion de « gilets jaunes » a voté pour la liste de Manon Aubry, mais cela n’a pas permis un regain de mobilisation en faveur des mélenchonistes.

Dimanche soir, la consigne était de « ne pas faire d’autocritique ». Ce déni ne pourra pas continuer longtemps. Car Jean-Luc Mélenchon ne pourra pas échapper à l’examen de son rôle dans cette contre-performance. D’abord discret, le chef des « insoumis » a été de plus en plus présent à mesure que le vote approchait. Cette « présidentialisation » de la campagne s’illustrait par des symboles très concrets : de nombreux meetings, des interventions médiatiques, la présence de l’ancien socialiste sur les affiches et même sur les bulletins de vote… Omniprésent, donc, M. Mélenchon est, de fait, comptable du résultat de sa formation.

« Fédération populaire »

Surtout que LFI va devoir très vite se pencher sur la suite. Dans un entretien à Libération, en avril, M. Mélenchon avait évoqué la mise en place d’une « fédération populaire » qui n’est surtout pas une « union de la gauche » ancienne version. L’idée est de fédérer les revendications politiques, syndicales et associatives sous un label commun, que cela soit pour des élections ou dans les mouvements sociaux et les actions quotidiennes. Et ainsi proposer un contre-projet de société qui soit global, embrassant tous les domaines.

Quelle forme prendra cette fédération et surtout avec qui ? Personne ne le sait vraiment. La fin de campagne a vu des tensions poindre entre LFI et EELV mais aussi avec le PS et le PCF. Pas vraiment le meilleur moyen de débuter une discussion entre « partenaires ». Beaucoup comptent sur la campagne référendaire contre la privatisation d’Aéroports de Paris pour retisser les liens et refaire la campagne gagnante de 2005 contre le traité constitutionnel européen.

Surtout que LFI ne dispose pas d’instances internes où un tel débat peut avoir lieu. « Je ne sais pas où cette discussion peut être menée. On nous avait promis une refonte de l’espace politique [instance où cohabitent les différentes composantes politiques de LFI] mais cela n’a pas eu lieu, regrette Clémentine Autain. Il faut faire vivre pluralisme et la démocratie. » Surtout, un débat divise encore en interne sur la stratégie à adopter : populisme de gauche ou union de la gauche ? « Le choix ne se résume pas entre la vieille gauche et la stratégie dite populiste, poursuit la députée de Seine-Saint-Denis. Je ne crois pas au “eux et nous, en mettant toutes les élites dans le même panier. En 1789, le peuple s’est articulé aux élites des Lumières. Le discours de haine n’est pas pour notre camp politique. Nous avons toujours gagné en incarnant l’espoir. »

Mme Autain plaide, pour sa part, pour « fédérer le peuple » sur « une base de gauche » et « s’ouvrir sur la société, les citoyens, les syndicats, les intellectuels, les associations ». Elle résume : « On doit montrer que nous sommes dans une logique de construction commune, et non de ralliements. » Le chemin promet d’être long.